Page:Lazare - Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844.djvu/362

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contemplant la première : ici l’on doit implorer la divinité ; en regardant la seconde, ses premières paroles seront : on danse là dedans.

L’architecte de la Sainte-Chapelle n’a pas demandé seulement à la peinture ses vives couleurs, à l’or ses effets étincelants, parures d’emprunt qui couvrent aujourd’hui l’indigence de nos architectes. Des blocs de pierre ont suffi à Pierre de Montreuil, et son génie a déployé librement ses ailes. Tantôt la pierre se dresse en faisceaux de colonnettes sveltes et minces, puis se projette par une courbe flexible en arceaux à vive-arête ; tantôt elle se divise, se réunit, s’intersecte avec une grâce infinie ; plus loin, on la voit s’épanouir en rosaces brillantes, se posant, se prolongeant, se découpant en élégante balustrade, se transformant en bouquets de sculpture, limite indécise entre l’art du statuaire et celui de l’architecte ; quelquefois elle serpente en festons, s’agence en guirlandes, en couronnes, se couvre comme une étoffe légère, de mille dessins à souhait pour le plaisir des yeux, s’assouplit, s’anime pour reproduire les fantaisies d’une imagination libre et inépuisable.

La première flèche de la Sainte-Chapelle était un modèle de grâce aérienne ; on eût dit de la dentelle de pierre. Sauval l’appelait une des merveilles du monde ; elle fut détruite par le feu en 1630.

Dans les jours de grandes solennités religieuses, un ange se détachait de la voûte et faisait tomber de l’eau d’un vase d’or sur les mains du pontife qui officiait dans la haute chapelle.

Le clergé de la Sainte-Chapelle jouissait de nombreuses prérogatives. L’archi-chapelain marchait l’égal des évêques. — Mais bientôt la pensée nous conduit au lutrin chanté par Boileau. La mort eut bien vite fait raison aux chantres et aux chanoines de celui qui avait tant égayé le public à leurs dépens. En 1711, une dépouille mortelle arrivait à leur porte : c’était celle de Boileau. Ils lui donnèrent sous une de leurs dalles l’hospitalité glacée du tombeau.

Après la construction de la Sainte-Chapelle, saint Louis ajouta au palais la salle, la chambre, les cuisines qui portent son nom, et la grand’chambre du parlement, plus tard restaurée par Louis XII, et où siège en ce moment la chambre criminelle de la cour de cassation. Derrière le palais se trouvait le jardin des rois, séparé par un ruisseau de deux petites îles qui cherchaient à se confondre. Dans ce jardin saint Louis reçut l’hommage de son grand vassal Henri III d’Angleterre. — « Le bon roi Loys avoit coutume (dit Joinville dans ses mémoires), de nous envoyer les sieurs de Soissons, de Nesle et moy, ouïr les plaids de la porte, et puis il nous envoyoit quérir, et nous demandoit comme tout se portoit, et s’il y avoit aucune affaire qu’on ne pût dépêcher sans luy, et plusieurs fois, selon notre rapport, il envoyoit quérir les plaidoyans, les contentoit, et les mettoit en raison et droiture. »

Si l’espace nous le permettait, nous pourrions exhumer maint fait vieux, attrayant, et qu’on aimerait à son parfum historique ; mais il nous faut arriver bien vite au règne de Philippe-le-Bel. Enguerrand de Marigny, comte de Longueville, chambellan de France, surintendant des finances et bâtiments du roi, fit en 1298 d’immenses réparations au palais de la Cité. Il ordonna la destruction de presque tous les vieux bâtiments et fit disparaître aussi les tours et tourelles qui flanquaient cette antique demeure de nos rois, des maires du palais et des comtes de Paris. Le logis du roi, situé au fond de la cour, était parallèle à la rue de la Barillerie, appelée alors dans cette partie rue Saint-Barthélemi. Cette habitation d’un aspect sombre et sévère, était remarquable par ses portes d’airain, ses cinquante-quatre fenêtres sur trois rangs en ogives. Il fallait monter quarante-huit degrés de pierre avant de pénétrer dans cette demeure. À droite s’élevaient, du côté de la Sainte-Chapelle, de vastes constructions qui servaient aux officiers subalternes, aux cuisines et aux écuries.

Le côté gauche du palais était réservé exclusivement à la justice et aux plaideurs. Là se trouvaient réunies les salles de plaidoiries, de committimus, d’attendamus, la grand’chambre d’une richesse si imposante, la grand’salle si vénérable et si sombre ; puis en cet endroit prenaient naissance tous ces escaliers noirs, tortueux qui semblaient faits exprès pour le temple de la chicane.

Par les soins d’Enguerrand de Marigny, la grand’salle fut ornée des statues des rois depuis Pharamond jusqu’à Philippe-le-Bel.

En 1320, Robert, comte de Flandres, vint au palais faire hommage à Philippe-le-Long, et maria son petit fils, Louis de Crécy, à Marguerite, fille du roi.

En 1375, pendant la captivité du roi Jean, le Dauphin Charles, son fils, demeurait au palais, qu’il quitta pour venir habiter son hôtel de Saint-Paul. Lorsque l’empereur Charles IV vint à Paris avec son fils Venceslas, le roi Charles V déploya pour recevoir dignement ses hôtes un luxe inaccoutumé. Dans la salle où se trouvent aujourd’hui les 2e et 3e chambres, on voyait une immense table de marbre. Au milieu du repas, glissa tout-à-coup sur la table un vaisseau mû par des ressorts secrets ; bientôt apparut la cité de Jérusalem avec ses tours chargées de Sarrasins. Godefroy de Bouillon descendit du navire à la tête de ses guerriers, des échelles furent appuyées aux murailles, puis un combat furieux s’engagea ; mais bientôt les infidèles renversés et vaincus abandonnèrent les lieux saints aux chevaliers. Le soir, de nouveaux plaisirs se préparaient ; mais l’empereur fatigué sans doute de tant d’honneurs demanda à rentrer dans son appartement.

Quand la haute politique faisait trêve de solennités, quand les rois descendaient de la table de marbre, la basoche y montait. Les clercs commencèrent à donner des représentations publiques sous le règne de Louis XI.