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L’enclos du Temple était au XIIIe siècle d’une étendue si considérable qu’il renfermait tout l’espace compris entre le faubourg du Temple et la rue de la Verrerie, et occupait une partie du marais qu’on nommait aussi la Culture du Temple.

C’était au Temple que Philippe-Auguste et Philippe-le-Hardi déposaient leurs trésors. Les bâtiments habités par les chevaliers étaient aussi magnifiques que les résidences royales. Pendant le séjour qu’il fit à Paris en 1254, le roi d’Angleterre, Henri III, choisit le Temple pour sa demeure, de préférence à celle que saint Louis lui avait offerte dans son palais de la Cité.

Après l’extinction de l’ordre, en 1313, le manoir du Temple fut abandonné aux chevaliers de saint Jean de Jérusalem qui héritèrent de tous les biens des Templiers.

Le Temple devint ainsi le séjour des grands prieurs de l’ordre de Malte.

Philippe de Vendôme qui s’était distingué au siège de Candie, à la prise de Namur et dans le Piémont, fut en sa qualité de prince du sang et de chevalier de Malte, nommé grand prieur. La régence commençait alors, et Vendôme voulut surpasser dans son prieuré la licence de l’époque. Les soupers du Temple devinrent fameux et surpassèrent ceux du Palais-Royal, par le choix et l’esprit des convives. La Fare y brillait de tout l’éclat de sa gaité ; Chaulieu qui habitait dans l’enceinte du Temple une jolie maison, était le convive habituel du prieur ; le spirituel poète, presque octogénaire, y chantait encore l’amour et le vin. Mademoiselle de Launay venait y apporter ses réparties piquantes et un cœur sensible. Jean-Baptiste Rousseau fut admis à ces soupers, mais la manière dont il en parle fait croire qu’on ne le jugea pas digne d’une initiation complète, ou bien que l’ironie seule lui a dicté ce passage de son épître à Chaulieu :

____« Par tes vertus, par ton exemple,
» Ce que j’ai de vertu fut très bien cimenté,
____« Cher abbé, dans la pureté
____« Des innocents soupers du Temple. »

La pureté des soupers du grand prieur et de Chaulieu est une figure de rhétorique, dont Philippe de Vendôme a dû beaucoup rire. — À Philippe de Vendôme succéda le prince de Conti qui, en 1770, ouvrit la porte du Temple à Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe de Genève, pauvre, poursuivi par des ennemis, obsédé par des fantômes que créait son imagination, vint cacher sous ces murs féodaux la célébrité qui suivait l’auteur d’Émile. Le prince eut l’insigne honneur de protéger l’écrivain.

Le Temple a été le dernier lieu d’asile ouvert aux criminels, aux prévenus politiques et aux débiteurs. Ce droit a subsisté jusqu’au commencement de la révolution. C’était pour le grand prieur la source d’un revenu très considérable, car tous les bâtiments de l’enclos étaient loués plus cher que les plus beaux hôtels de Paris. Les gardes du commerce, les agents d’affaires, les huissiers se mettaient continuellement aux aguets devant la porte. Le dimanche seulement on pouvait sortir de l’enceinte sans crainte d’être arrêté.

Ce fut dans le donjon du Temple que l’infortuné Louis XVI et sa famille furent conduits, le 14 août 1792, à une heure du matin, trois jours après que l’Assemblée nationale eût prononcé la déchéance du roi. Pendant que les augustes prisonniers gémissaient au Temple, l’orage éclatait au dehors. Un jour, une troupe de furieux, parmi lesquels on distinguait un homme portant au bout d’une pique la tête d’une femme, pénétra dans les jardins du Temple, en criant à la reine : « C’est la tête de la Zamballe que nous voulons te montrer. »

Louis XVI, dès le commencement de son procès, fut entièrement séparé des siens. Il fallut un décret de la Convention pour qu’il lui fût permis de faire à sa femme, à sa sœur et à ses enfants, un éternel adieu. Louis XVI sortit du Temple le 21 janvier 1793 pour monter sur l’échafaud. Quelques efforts désespérés furent tentés par des hommes généreux pour enlever les prisonniers du Temple ; mais les obstacles furent plus grands que le dévouement. On ne pouvait sauver que la reine ; mais elle refusa d’abandonner sa famille. Bientôt on lui enleva son fils, et le 16 octobre Marie Antoinette sortit du Temple pour aller au supplice.

Le 9 mai 1794, la sœur du roi, Madame Élisabeth, quitta le Temple pour aller à la Conciergerie. Fouquier la traduisit au tribunal révolutionnaire, avec vingt-quatre autres personnes accusées de contre-révolution. Tous les accusés furent condamnés à mort. Quand le sang des vingt-quatre fut épuisé, le bourreau s’empara rudement de Madame Élisabeth. Le fichu qui couvrait le sein de la jeune femme tomba : « Au nom de votre mère, monsieur, couvrez-moi ! » dit-elle avec émotion. Le bourreau obéit à sa voix ; alors la sainte de la révolution sourit, et mourut !

Ainsi de la famille royale il ne restait plus au donjon que deux jeunes enfants depuis longtemps séparés l’un de l’autre. Louis XVII avait été plus étroitement renfermé depuis les tentatives qui avaient été faites pour le sauver. Il fut enlevé à sa mère, puis livré à l’ignoble cordonnier Simon. Depuis ce moment l’existence du pauvre enfant ne fut plus qu’une lente agonie que la mort termina le 8 juin 1795. Sa sœur, la duchesse d’Angoulême, fut la seule qui sortit de cette prison funeste, après avoir été témoin pendant trois ans des souffrances de toute sa famille. Au mois de décembre 1795, elle quitta le Temple et fut échangée contre quatre commissaires de la Convention, prisonniers des Prussiens.

La tour du Temple fut habitée par d’autres personnages célèbres. — Sir William Sidney Smith, amiral anglais, fait prisonnier le 20 avril 1796, fut amené à Paris, puis enfermé au Temple, d’où ses amis l’enlevèrent le 10 mai 1798. — Toussaint Louverture, chef de l’insurrection de Saint-Domingue, entra au Temple le