Page:Lazare - Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844.djvu/675

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Le roi, couronné par la Victoire, était revêtu des ornements de son sacre. Le monarque foulait aux pieds un cerbère, symbole de la triple alliance ; derrière la statue du roi s’élevait, sur un globe, une Victoire ailée posant une couronne de lauriers sur la tête de Louis XIV. Ce groupe, entièrement doré, avait été exécuté par Martin-Van-Den-Bogaer, connu sous le nom de Desjardins.

Aux quatre angles du piédestal on voyait quatre figures colossales d’esclaves enchaînés, dans l’attitude de l’humiliation, de la douleur ou de l’indignation. Ces figures, en bronze, étaient remarquables par la vérité de leur expression.

Quatre fanaux éclairaient, pendant la nuit, le groupe de Louis XIV. Dans l’acte de donation et substitution consenti par le duc de la Feuillade, il est parlé plusieurs fois de ces fanaux qui étaient d’une grande dimension.

Chacun d’eux se composait d’un soubassement orné de trois colonnes doriques en marbre, entre lesquelles étaient suspendus, par des guirlandes en feuilles de chêne et de laurier, plusieurs médaillons de bronze décorés d’inscriptions et de bas-reliefs.

Le duc de la Feuillade paya cher son dévouement et son enthousiasme pour son roi. Presque tous les écrivains qui se sont occupés de ce gentilhomme lui ont prodigué les épithètes les plus injurieuses. Du vivant même du noble duc, un mauvais plaisant afficha sur le piédestal du monument ce distique gascon :

La Feuillade, sandis, jé crois qué tu mé bernes,
Dé placer lé soleil entré quatré lanternes.

L’auteur faisait ici allusion au soleil que Louis XIV avait pris pour emblème.

Le duc de Saint-Simon, ce beau phraseur, si glorieux de sa noblesse poursuivit également le duc de la Feuillade de ses sarcasmes. « Si Louis XIV eût laissé faire, M. de la Feuillade aurait adoré son roi comme un dieu ! » dit le caustique chroniqueur qui n’avait jamais adoré que sa personne.

À l’entendre, ne dirait-on pas que le duc de la Feuillade n’avait jamais quitté l’œil-de-boeuf. Il est bon de rappeler ici l’histoire de ce courtisan, qui comptait parmi ses aïeux Ebon d’Aubusson, l’ami de Pépin-le-Bref, père de Charlemagne et Pierre d’Aubusson, grand-maître de l’ordre de Jérusalem, qui vécut en héros et mourut comme un saint. — À seize ans, notre courtisan débute dans la carrière militaire, à la bataille de Rhétel où il reçoit trois blessures. Un an après, à l’attaque des lignes d’Arras, il entre le premier dans les retranchements des Espagnols, commandés par le grand Condé. Six mois plus tard, il est blessé d’un coup de sabre à la tête et fait prisonnier au siège de Landrécies. La Feuillade ne s’arrête pas en si beau chemin ; à la bataille de Saint-Gothard, il commande les Français en l’absence de Coligny. On le retrouve ensuite aux sièges de Bergues, de Furnes et de Courtrai. La paix est signée. Il peut prendre du repos, mais il a résolu de se montrer courtisan toute sa vie. Il part avec trois cents soldats levés à ses frais, pour aller secourir Candie ; puis de retour en France, il fait la campagne de Hollande, suit le roi en Franche-Comté, prend Salins, emporte, l’épée à la main, le fort Saint-Étienne, l’ancienne citadelle de Besançon, et entre encore le premier dans Dôle, dont la prise complète les conquêtes de Louis XIV.

Arrêtons-nous à la moitié de la gloire de la Feuillade et demandons à Dieu qu’il nous fasse la grâce de nous envoyer souvent de pareils courtisans.

Nous sommes arrivés à l’époque de la décadence du monument élevé par le duc de la Feuillade ; en 1790, la municipalité parisienne fit enlever les quatre esclaves de bronze qu’on déposa d’abord dans la cour du Louvre. Ils décorent aujourd’hui la façade de l’hôtel royal des Invalides.

La place des Victoires éprouva le contre-coup de la chute de la royauté.

Séance du 12 août 1792. — « Le Conseil général de la commune arrête, le substitut du procureur de la commune entendu : que la place des Victoires se nommera désormais la place de la Victoire Nationale, et qu’il y sera érigé une pyramide sur laquelle seront gravés les noms des généreux citoyens morts pour la liberté dans la journée du 10 août, etc… »

Au commencement de septembre la statue du grand roi fut abattue.

La pyramide en bois substituée au monument du duc de la Feuillade ne dura pas longtemps ; Bonaparte en fit cadeau à un corps-de-garde ; les soldats se chauffèrent tranquillement avec les débris du monument républicain.

« Arrêté du 9 vendémiaire an XI. — Les consuls de la république, sur le rapport du ministre de l’intérieur, arrêtent ce qui suit : Article 1er. Une statue colossale sera érigée sur la place des Victoires, à la mémoire du général Desaix, mort à la bataille de Marengo. Art. 2e. Sur le piédestal seront placés des »bas-reliefs relatifs à la conquête de la Haute-Égypte et à la bataille d’Héliopolis, gagnée par ce général. Art. 3e. L’exécution de cette statue sera confiée au citoyen Dejoux, sculpteur etc… »

Le général républicain, représenté dans un appareil trop simple, souleva les réclamations des pères de famille, qui n’osaient traverser la place avec leurs femmes et leurs filles. Pour faire taire les scrupules de la foule, on couvrit le monument d’une charpente. En 1815, la statue de Desaix fut déportée dans ce musée qui depuis trente ans était devenu le Botany-Bay de la gloire.

Une ordonnance royale du 14 février 1816 prescrivit le rétablissement de la statue de Louis XIV sur la place des Victoires.

Cette statue équestre a été exécutée en bronze par M. Bosio ; le piédestal, en marbre blanc, est de M. Alavoine, architecte.