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L'ANTISÉMITISME


Après avoir attaqué le Juif comme sémite, comme étranger, comme révolutionnaire et comme antichrétien, on l’a attaqué comme agent économique. De tous temps d’ailleurs il en a été ainsi, depuis la dispersion. Déjà, avant notre ère, les Romains et les Grecs enviaient les privilèges qui permettaient aux Juifs d’exercer leur commerce dans des conditions meilleures que les nationaux[1], et, pendant le moyen âge, l’usurier fut haï tout autant, sinon plus, que le déicide[2]. Si la situation des Juifs a changé à la fin du dix-huitième siècle, elle a changé d’une façon qui leur était trop favorable pour que les sentiments qu’on éprouvait à leur égard puissent sensiblement se modifier, au contraire. Aujourd’hui l’antisémitisme économique existe plus fort que jamais, parce que, plus que jamais, le Juif apparaît puissant et riche. Jadis, on ne le voyait pas, il restait enfermé dans son ghetto, loin des yeux chrétiens, et il n’avait qu’un souci : cacher son or, cet or dont la tradition et la législation même le regardaient comme le collecteur et non comme le propriétaire. Du jour où il fut délivré, lorsque les entraves mises à son activité tombèrent, le Juif se montra ; il se montra même avec ostentation. Il voulut, après les siècles de carcère, après les ans d’outrage, paraître un homme, et il eut une vanité naïve de sauvage ; ce fut sa façon de réagir contre les séculaires humiliations. On l’avait quitté à la veille de 1789 humble, minable,

  1. Ch. II.
  2. Ch. V.