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ÉVANGÉLINE

Rougissait lentement un grand cercle de roue,
Comme un serpent de feu qui se tortille et joue
Dans un brasier ardent allumé sous les bois.
À l’approche des nuits, l’automne, bien des fois,
Quand le ciel était noir, et que la forge sombre
Semblait vomir dehors des flammèches sans nombre,
Par les carreaux de terre et les ais du lambris,
Ils venaient regarder avec des yeux surpris,
Le soufflet haletant qui ranimait la braise,
Et réchauffer leurs doigts en causant à leur aise.
Quand on n’entendait plus le soufflet bourdonner,
Ni sous le dur marteau l’enclume résonner,
Et que sous les chardons dormait la pâle flamme
En laissant l’atelier, sans malice dans l’âme,
Ils se disaient pareils aux prêtres du Seigneur
Qui viennent de chanter les matines au chœur.
Souvent pendant l’hiver, tout palpitants de joie,
Rapides comme l’aigle acharné sur sa proie,
L’un et l’autre ils glissaient dans un léger traîneau,
Sur la neige argentant la pente du coteau ;
Souvent sur les chevrons ou le toit de la grange
Ils montaient hardiment, cherchant la pierre étrange
Que l’hirondelle apporte à son nid, tous les ans,
Quand elle l’a trouvée au bord des océans,
Pour de ses chers petits dessiller la paupière.
Heureux qui la trouvait cette étonnante pierre !
Ainsi leurs premiers jours sans pleurs et sans ennuis,
Comme un songe doré s’étaient bien vite enfuis !