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ÉVANGÉLINE
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Les pauvres Acadiens défilent deux à deux.
Mille ignobles soldats se tiennent auprès d’eux.
Comme des pélerins, bien loin sur quelque rive
Vont ensemble chantant une chanson naïve,
Un air de la Patrie, un antique refrain,
Pour calmer la fatigue et l’ennui du chemin ;
Ainsi les prisonniers chantaient avec courage,
Mais d’une voix plaintive, en allant au rivage ;
Et leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles pleuraient !
Tour à tour, cependant, ces chants pieux mouraient.
Mais tout à coup voici qu’un nouveau chant commence :
—« Cœur sacré de Jésus, ô source de clémence,
« Cœur sacré de Marie, ô fontaine d’amour,
« Hélas ! secourez-nous en ce malheureux jour !
« Nous sommes exilés sur la terre des larmes !
« Pitié ! pitié pour nous dans nos longues alarmes ! »
Les jeunes paysans commencèrent d’abord ;
Puis les vieillards émus, à leur pieux accord,
Unirent aussitôt leur chant tremblant et grave ;
Et le vent qui des prés portait l’odeur suave,
Les femmes qui suivaient le cruel régiment,
Et les petits oiseaux qui voltigeaient gaîment
Sous la pourpre du ciel et la nue orgueilleuse
Mêlèrent à ces voix leur voix mélodieuse !


Assise au pied d’un arbre à côté du chemin,
En silence et le front appuyé sur sa main,
Levant, de temps en temps, un œil d’inquiétude
Vers le bourg devenu comme une solitude,