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AUTOUR DE LA MAISON


Dans le parterre, on apercevait déjà l’herbe par place, et maintenant l’on sortait sans grands bas, en claques seulement. Je me rappelle Marie avec son court manteau rouge feu, au collet de matelot, soutaché de blanc et sa tourmaline qui étalait, sur ses pendants de rubans noirs, deux petits drapeaux entrecroisés.

Au temps des rigoles, nous devenions des empereurs romains, persécuteurs de bonnes femmes de papier ! Notre cruauté naissait à l’arrivée du cahier de mode pour la saison nouvelle, où il y avait à découper de jolies petites filles en robes de couleur. Nous prenions celles qui avaient été nos favorites de l’hiver et qui étaient salies et démodées, et nous les martyrisions. Nous en avions assez pour fournir Toto et Pierre qui se distinguaient par leur rage, leurs cris et leur subtilité dans les tourments à inventer. Marie et moi, nous nous contentions de passer un fil au cou d’une bonne femme, et de la faire descendre dans la rigole en suivant le courant jusqu’au coin. Nous leur tenions un banal discours d’une voix mauvaise et épouvantable, autant que possible : « Ah ! tu as froid, ma petite fille, tu te lamentes, tu es fâchée, mais tant pis pour toi, tu avais beau ne pas te salir. Asteure, noye-toi, noye-toi,