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AUTOUR DE LA MAISON

avec peine et misère. Elle s’éraflait, elle saignait, la langue sortie, sa robe brune boueuse. On l’échappait, ses os se disloquaient. C’était une chose morte ; on la bousculait sans réserve, brutalement, et avant qu’elle fût en voiture, je partis en sanglotant…

Toute la journée, Toto se moqua de mon chagrin. « Michelle pleure la vache ! » Je restai quand même morose, presque malade. Oh ! l’horrible nuit qui suivit ; un rêve succédait à un autre rêve, et il fallait toujours traîner la vache, et je m’éveillais en sueur, tremblante. Un seul m’est resté à la mémoire : la vache était étendue à un bout de la grande chambre de maman ; elle était grosse, grosse, grosse. Au plafond, il y avait du sable et il fallait que maman traversât cette chambre avec « Georgette » sur le dos, et sous la pluie de sable aveuglante ! Moi, j’étais liée à la porte, et une voix me murmurait toujours la même phrase, sur le même ton, entre les dents, une voix méchante, ironique, insinuante, qui n’expliquait pas, qui répétait : « Tu fais semblant de rien, mais tu sais bien, va, ce qu’il faudrait faire ! » — et c’était diabolique, et ça me brûlait, et là, au fond de la pièce, maman qui essayait toujours de soulever la vache, et tout ce sable qui tombait, embrouillant tout, et cette voix, oh ! cette voix qui me tenaillait !…