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COULEUR DU TEMPS

contempler si sereine, je me réjouissais de croire obstinément que la vie n’est pas si décevante, si l’on sait la vivre et si l’on est juste.

Les soirs d’été, au bruit des vagues qui roulaient sur la plage devant nous, grand’mère Audet racontait volontiers, bribe par bribe, son histoire. C’était un plaisir et une leçon de l’entendre. C’est une vieille et pure acadienne ; son langage, émaillé de vieux mots, est modulé d’accents d’une souplesse incomparable.

Elle a eu beaucoup de fils, beaucoup de filles. Un de ses garçons auprès d’elle a recueilli l’héritage paternel. Il cultive la belle terre que de père en fils les Audet cultivèrent.

Un autre était prêtre. Il avait à peine dépassé trente ans et venait d’être nommé curé, quand une fièvre maligne le tua. En nous parlant de ce deuil, grand’mère Audet était toute émue ; sa voix tremblait. Mais ensuite, elle regarda très loin dans les jours passés, et se mit à rappeler des petits faits de la jeunesse de son cher fils. « Il aimait bien la maison, continuait-elle. Quand il venait, il me disait toujours : Qu’on est bien, maman, chez nous ! Qu’on est bien ! »

Hélas, cette épreuve n’a pas été la seule dans la vie de grand’mère Audet. Elle a des filles mariées au loin et dont elle ne verra jamais ici-