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Anxiété


« J’aimerais bien savoir ce que je serai plus tard ! » vient de s’exclamer mon frère, sans nul à-propos, en parcourant la première page du journal du soir. Personne n’avait saisi sa pensée. On le regarda. Alors il reprit : « Oui, je voudrais connaître mon avenir. »

« Moi aussi, je le voudrais », pensai-je, mais je gardai le silence pendant que quelqu’un badinait : « Va voir une tireuse de cartes ! » et que l’aînée de la famille disait moins gaiement : « Tu le connaîtras bien assez vite, ton avenir ! »

Que voulait-elle signifier au juste ? Que les années auraient tôt fait de s’enfuir ? ou bien que leur réalité serait probablement décevante ?

Mon frère, qui vient d’avoir vingt ans, a droit d’espérer encore mille belles heures ; et il affirma : « Ça ne me fait rien. J’aimerais cela quand même, savoir ! » Ce désir fou, il me hante également. Il me taquine le matin au sortir des songes de la nuit, il me harcèle le soir, dans le calme qui précède le sommeil. Le jour, si je suis seule, si je pense le moindrement, il prend sa part de mes pensées. Je sonde, je cherche, j’espère ou je désespère. Parfois, je compte