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COULEUR DU TEMPS

extraire cette malheureuse qui déshonore ma gencive ; si je ne me décide pas à endurer de plein gré cette petite souffrance, qui sait si l’on ne m’enverra pas, en punition, quelque carie affreuse de la mâchoire, capable de me défigurer à jamais ?

C’est décrété. J’y vais demain, demain. Ce n’est pas si horrible, à tout peser. J’arrive. Je m’installe. Le dentiste — mon dentiste barbu que je connais depuis des ans — me raconte de bonnes blagues. Je n’écoute pas. Je regarde les pinces qu’il chauffe, je commence à serrer follement les bras du fauteuil. Je me raidis, je fais mon sacrifice. J’ouvre la bouche. La pince entre. Le dentiste pousse, serre, déracine, tire. Oh ! ce métal, ce serrement, cet arrachement ! Je crie, mais ma dent s’en va.

Pourtant non, elle ne partira pas ainsi du premier coup. Elle ne vaut rien. Elle est découronnée. Elle cassera. La pince reviendra trois fois au moins.

Trois fois… le serrement, la poussée, l’arrachement ! Trois fois !

C’est héroïque, à y songer, de s’en aller ainsi rencontrer les pinces quand on sait le mal qui nous guette. Un mal pour un bien, me direz-vous ? Oui, mais, après tout, cette dent-là ne me fait pas souffrir. Ce serait simplement pour