Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/29

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ce qui, — poudres, gouttes, gommes, grumeaux, flocons, ou gemmes ou cristaux, — happe à la langue, perce les voûtes olfactives, touche aux ressorts de l’éternuement ou de la nausée, tue ou vivifie ; dis-moi donc, cher ami Éryximaque, et des iâtres le plus versé dans la matière médicale, dis-moi cependant : connais-tu point, parmi tant de substances actives et efficientes, et parmi ces préparations magistrales que ta science contemple comme des armes vaines ou détestables, dans l’arsenal de la pharmacopée, — dis-moi donc, connais-tu point quelque remède spécifique, ou quelque corps exactement antidote, pour ce mal d’entre les maux, ce poison des poisons, ce venin opposé à toute la nature…

PHÈDRE

Quel venin ?

SOCRATE

… Qui se nomme : l’ennui de vivre ? — J’entends, sache-le bien, non l’ennui passager ; non l’ennui par fatigue, ou l’ennui dont on voit le germe, ou celui dont on sait les bornes ; mais cet ennui parfait, ce pur ennui, cet ennui qui n’a point l’infortune ou l’infirmité pour origine, et qui s’accommode de la plus heureuse à contempler de toutes les conditions, — cet ennui enfin, qui n’a d’autre substance que la vie même, et point d’autre cause seconde que la clairvoyance du vivant. Cet ennui absolu n’est en soi que la vie toute nue, quand elle se regarde clairement.

ÉRYXIMAQUE

Il est bien vrai que si notre âme se purge de toute fausseté, et qu’elle se prive de toute addition frauduleuse à ce qui est, notre existence est menacée sur-le-champ, par cette considération froide, exacte, raisonnable, et modérée, de la vie humaine telle qu’elle est.

PHÈDRE

La vie noircit au contact de la vérité, comme fait le douteux champignon au contact de l’air, quand on l’écrase.

SOCRATE

Éryximaque, je t’interrogeais s’il y avait remède ?