Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’exécutant ne devait point dépasser 18 pouces. Auguste Vestris qui assiste en pédant maussade et baroque au renouveau romantique avait bien tourné de son temps d’innombrables pirouettes « à la hauteur », son rival victorieux Duport l’avait bien éclipsé par l’élasticité de ses bonds prodigieux : ces triomphes restaient réservés aux danseurs ; jamais une Bigottini, une Fanny Bias, étoiles de l’époque impériale, ne purent leur disputer le succès.

En 1830 revirement complet : le danseur s’efface, est réduit à la pantomime. Il cède le pas à la danseuse, être aérien, matérialisation diaphane de « l’éternel féminin » qui traverse la scène dans une envolée de temps sautés et ballonés, de jetés prodigieux. Des centaines de lithographies romantiques nous montrent la ballerine négligeant d’effleurer la terre, emportée par une cabriole ailée qui escalade le ciel. Ces images tant soit peu conventionnelles et mièvres nous renseignent sur une autre réforme fondamentale : la transformation du costume féminin.

Abolie la tunique néo-grecque à la David ; le corsage rigide et le « tutu » allongé, cloche de tarlatane blanche, inspirée à la Taglioni par le peintre Eugène Lamy, affranchissant le mouvement, l’entourant d’une brume laiteuse, deviennent l’«uniforme » de la sylphide, de la libellule, de la salamandre. Nous ne saurions imaginer aujourd’hui la Grisi ou la Grahn sans l’ornement de cette corolle renversée. Il arriva que la personnalité de plus en plus exaltée de la danseuse, la Madone de ces nouveaux Mystères, écarta non seulement le danseur mais l’ensemble, le chœur figuré par le corps de ballet. C’est Taglioni qui inaugure l’époque brillante et néfaste des virtuoses.

Or, cet incessant va-et-vient entre le ciel et la terre, cette échelle de Jacob éternellement dressée n’épuise point la matière du ballet romantique ; le clair de lune mélancolique argentant les ruines d’un donjon à mâchicoulis peint par Cicéri, la ronde nocturne des esprits élémentaires ou des fantômes dolents, la danse immatérielle et abstraite ne remplissent qu’un des hémisphères de ce monde imaginaire.

L’autre s’épanouit en plein soleil. Si dans la Sylphide de la Taglioni l’imagination émigrée se perd dans les brumes d’Ossian, dans les légendes