Page:Le Ballet au XIXe siècle, 1921.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des poses gracieuses et de développer des lignes agréables à l’œil ; c’est un rythme muet, une musique que l’on regarde. La danse se prête peu à rendre les idées métaphysiques ; elle n’exprime que des passions : l’amour, le désir avec toutes ses coquetteries, l’homme qui attaque et la femme qui se défend mollement, forment le sujet de toutes les danses primitives.

Mademoiselle Fanny Elssler a compris parfaitement cette vérité. Elle a plus osé qu’aucune autre danseuse de l’Opéra : la première, elle a transporté sur ces planches pudiques l’audacieuse cachucha sans presque rien lui faire perdre de sa saveur native. Elle danse de tout son corps, depuis la pointe des cheveux jusqu’à la pointe des orteils… »

Cependant Gautier ose reprocher à l’idole sa défaillance dans la Muette de Portici, pour ne l’exalter que plus hautement à propos de la Gipsy, ballet de Mazilier qui servit de cadre à la danse qui se place dans la légende Elsslérienne à côté de la Cachucha ; c’est la Cracovienne.

« Vous peindre cette danse », avoue Théophile Gautier après avoir décrit avec verve le costume de Fanny, « est une chose impossible : c’est une précision rythmique mêlée d’un abandon charmant, une prestesse nerveuse et sautillante dont on ne peut se faire une idée ; le babil métallique des éperons, espèce de castagnettes talonnières, accentue nettement chaque pas et donne à la danse un caractère de vivacité joyeuse tout à fait irrésistible ! »

Une fois Fanny partie pour l’Amérique « son critique », comme elle qualifie Gautier dans ses lettres, ne laisse échapper aucune occasion de rappeler la danseuse à la mémoire des Parisiens. Du reste le très remarquable « portrait écrit » qu’il fait d’elle à ce propos dans Les beautés de l’Opéra, album où Jules Janin se charge du panégyrique de Taglioni, n’est qu’une réduction de l’article d’ensemble qu’il avait publié au Figaro en 1837. On n’analyse jamais la beauté des actrices, on ne les envisage jamais sous le côté purement plastique, se plaint-il au début. C’est à ce point de vue qu’il se place en abordant encore une fois le sujet Elssler.

« Mademoiselle Fanny Elssler est grande, souple et bien découplée ; elle a les poignets minces et les chevilles fines ; ses jambes, d’un tour