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PSYCHOLOGIE DES FOULES

toujours, les individus le plus souvent, ont besoin, sur tous les sujets, d’opinions toutes faites. Le succès de ces opinions est indépendant de la part de vérité ou d’erreur qu’elles contiennent ; il dépend uniquement de leur prestige.

J’arrive maintenant au prestige personnel. Il est d’une nature fort différente du prestige artificiel ou acquis dont je viens de m’occuper. C’est une faculté indépendante de tout titre, de toute autorité, que possèdent un petit nombre de personnes, et qui leur permet d’exercer une fascination véritablement magnétique sur ceux qui les entourent, alors même qu’ils sont socialement leurs égaux et ne possèdent aucun moyen ordinaire de domination. Ils imposent leurs idées, leurs sentiments à ceux qui les entourent, et on leur obéit comme la bête féroce obéit au dompteur qu’elle pourrait si facilement dévorer.

Les grands meneurs de foules, tels que Bouddha, Jésus, Mahomet, Jeanne d’Arc, Napoléon, ont possédé à un haut degré cette forme de prestige ; et c’est surtout par elle qu’ils se sont imposés. Les dieux, les héros et les dogmes s’imposent et ne se discutent pas ; ils s’évanouissent même dès qu’on les discute.

Les grands personnages que je viens de citer possédaient leur puissance fascinatrice bien avant de devenir illustres, et ils ne le fussent pas devenus sans elle. Il est évident, par exemple, que Napoléon, au zénith de la gloire, exerçait, par le seul fait de sa puissance, un prestige immense ; mais ce prestige, il en était doué déjà en partie alors qu’il n’avait aucun pouvoir et était complètement inconnu. Lorsque, général ignoré, il fut envoyé par protection commander l’armée d’Italie, il tomba