Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/188

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Sur des questions générales : renversement d’un ministère, établissement d’un impôt, etc., il n’y a plus du tout de fixité d’opinion, et les suggestions des meneurs peuvent agir, mais pas tout à fait comme dans une foule ordinaire. Chaque parti a ses meneurs, qui ont parfois une égale influence. Il en résulte que le député se trouve entre des suggestions contraires et devient fatalement très hésitant. C’est pourquoi on le voit souvent, à un quart d’heure de distance, voter de façon contraire, ajouter à une loi un article qui la détruit : ôter par exemple aux industriels le droit de choisir et de congédier leurs ouvriers, puis annuler à peu près cette mesure par un amendement.

Et c’est pourquoi, à chaque législature, une Chambre a des opinions très fixes et d’autres opinions très indécises. Au fond, les questions générales étant les plus nombreuses, c’est l’indécision qui domine, indécision entretenue par la crainte constante de l’électeur, dont la suggestion latente tend toujours à contrebalancer l’influence des meneurs.

Ce sont cependant les meneurs qui sont en définitive les vrais maîtres dans les discussions nombreuses où les membres d’une assemblée n’ont pas d’opinions antérieures bien arrêtées.

La nécessité de ces meneurs est évidente puisque, sous le nom de chefs de groupes, on les retrouve dans les assemblées de tous les pays. Ils sont les vrais souverains d’une assemblée. Les hommes en foule ne sauraient se passer d’un maître. Et c’est pourquoi les

    « Depuis cinquante ans que je siège à Westminster, j’ai entendu des milliers de discours ; il en est peu qui aient changé mon opinion ; mais pas un seul n’a changé mon vote.