Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/190

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patrie ou aux partis. La foule qui obéit au meneur subit son prestige, et n’y fait intervenir aucun sentiment d’intérêt ou de reconnaissance.

Aussi le meneur doué d’un prestige suffisant possède-t-il un pouvoir presque absolu. On sait l’influence immense qu’eut pendant de longues années, grâce à son prestige, un député célèbre, battu dans les dernières élections à la suite de certains événements financiers. Sur un simple signe de lui, les ministres étaient renversés. Un écrivain a marqué nettement dans les lignes suivantes la portée de son action.

« C’est à M. X… principalement que nous devons d’avoir acheté le Tonkin trois fois plus cher qu’il n’aurait dû coûter, de n’avoir pris dans Madagascar qu’un pied incertain, de nous être laissé frustrer de tout un empire sur le bas Niger, d’avoir perdu la situation prépondérante que nous occupions en Égypte. ? Les théories de M. X… nous ont coûté plus de territoires que les désastres de Napoléon Ier.


Il ne faudrait pas trop en vouloir au meneur en question. Il nous a coûté fort cher évidemment ; mais une grande partie de son influence tenait à ce qu’il suivait l’opinion publique, qui, en matière coloniale, n’était pas du tout alors ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Il est rare qu’un meneur précède l’opinion ; presque toujours il se borne à la suivre et à en épouser toutes les erreurs.

Les moyens de persuasion des meneurs, en dehors du prestige, sont les facteurs que nous avons déjà énumérés plusieurs fois. Pour les manier habilement, le meneur doit avoir pénétré, au moins d’une façon inconsciente, la psychologie des foules, et savoir comment