Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/194

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Et, la meilleure preuve, c’est que lorsqu’une cause quelconque fait perdre à un orateur son prestige, il perd du même coup toute son influence, c’est-à-dire le pouvoir de diriger à son gré les votes.

Quant à l’orateur inconnu qui arrive avec un discours contenant de bonnes raisons, mais seulement des raisons, il n’a aucune chance d’être seulement écouté. Un ancien député M. Descubes a récemment tracé dans les lignes suivantes l’image du député sans prestige  :

« Quand il a pris place à la tribune, il tire de sa serviette un dossier qu’il étale méthodiquement devant lui et débute avec assurance.

Il se flatte de faire passer dans l’âme des auditeurs la conviction qui l’anime. Il a pesé et repesé ses arguments ; il est tout bourré de chiffres et de preuves ; il est sûr d’avoir raison. Toute résistance, devant l’évidence qu’il apporte, sera vaine. Il commence, confiant dans son bon droit et aussi dans l’attention de ses collègues, qui certainement ne demandent qu’à s’incliner devant la vérité.

Il parle, et, tout de suite il est surpris du mouvement de la salle, un peu agacé par le brouhaha qui s’en élève.

Comment le silence ne se fait-il pas ? Pourquoi cette inattention générale ? À quoi pensent donc ceux-là qui causent entre eux ? Quel motif si urgent fait quitter sa place à cet autre  ?

Une inquiétude passe sur son front. Il fronce les sourcils, s’arrête. Encouragé par le président, il repart, haussant la voix. On ne l’en écoute que moins. Il force le ton, il s’agite : le bruit redouble autour de lui. Il ne s’entend plus lui-même, s’arrête encore ; puis, craignant que son silence ne provoque le fâcheux cri de : Clôture ! il reprend de plus belle. Le vacarme devient insupportable. »


Lorsque les assemblées parlementaires se trouvent montées à un certain degré d’excitation, elles deviennent