Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/203

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n’ont de lien commun que la loi à demi reconnue d’un chef. Dans ces agglomérations confuses se retrouvent au plus haut degré les caractères psychologiques des foules. Elles en ont la cohésion momentanée, les héroïsmes, les faiblesses, les impulsions et les violences. Rien n’est stable en elles. Ce sont des barbares.

Puis le temps accomplit son œuvre. L’identité des milieux, la répétition des croisements, les nécessités d’une vie commune, agissent lentement. L’agglomération d’unités dissemblables commence à se fusionner et à former une race, c’est-à-dire un agrégat possédant des caractères et des sentiments communs, que l’hérédité va fixer de plus en plus. La foule est devenue un peuple, et ce peuple va pouvoir sortir de la barbarie.

Il n’en sortira tout à fait pourtant que quand, après de longs efforts, des luttes sans cesse répétées et d’innombrables recommencements, il aura acquis un idéal. Peu importe la nature de cet idéal, que ce soit le culte de Rome, la puissance d’Athènes ou le triomphe d’Allah, il suffira pour donner à tous les individus de la race en voie de formation une parfaite unité de sentiments et de pensées.

C’est alors que peut naître une civilisation nouvelle avec ses institutions, ses croyances et ses arts. Entraînée par son rêve, la race acquerra successivement tout ce qui donne l’éclat, la force et la grandeur. Elle sera foule encore sans doute à certaines heures, mais alors, derrière les caractères mobiles et changeants des foules, se trouvera ce substratum solide, l’âme de la race, qui limite étroitement l’étendue des oscillations d’un peuple et règle le hasard.

Mais, après avoir exercé son action créatrice, le temps