Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/114

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Louis XVI parut dans la galerie. Ce fut un délire unanime. Ceux qui s’étaient montrés à l’Assemblée parmi les plus arrogants sautaient sur les tabourets pour mieux voir leur bon maître, s’accrochaient aux pilastres, se levaient sur leurs pointes. Un grand cri de Vive le Roi ! ébranla tout le palais et l’Assemblée se mit docilement à la suite du souverain pour l’accompagner à la chapelle.


En regard des défauts des foules, il ne faut pas oublier d’en mentionner aussi les qualités. Leur impuissance à raisonner rend possible chez elles un grand développement de l’altruisme, qualité que la raison affaiblit forcément et qui constitue une très utile vertu sociale. L’individu qui raisonne est généralement égoïste et ne se détermine que difficilement à sacrifier sa vie pour un intérêt général. Seules les foules sont capables de telles abnégations. Les causes les plus chimériques trouvèrent toujours des milliers d’hommes prêts à se faire tuer pour elles. C’est grâce seulement au concours des foules que de puissants empires ont pu naître et se développer. Les foules ne créent pas de grandes civilisations, mais dans leur sein résident l’héroïsme, le dévouement et beaucoup des vertus qui les font vivre.

Une des dernières caractéristiques de la mentalité populaire, que je mentionnerai ici, est leur extrême crédulité. Elle est sans limite comme celle de l’enfant. Rien n’est impossible à leurs yeux. Si une foule demande la lune, il faut la lui promettre. Les politiciens ne reculent guère d’ailleurs devant de telles promesses ! Répandez dans une élection les plus invraisemblables calomnies sur votre adversaire, vous serez cru toujours. Évitez cependant de l’accuser de crimes trop sombres, vous le rendriez sympathique. Les foules manifestent généralement, en effet, une admiration respectueuse pour les grands criminels.

La crédulité illimitée dans les multitudes, ne leur est pas un sentiment exclusif. La crédulité et non le scepticisme constitue notre état normal. Nous possédons tous une petite dose d’esprit critique pour les choses de notre métier, mais hors de cet horizon circonscrit, nous n’en manifestons généralement que d’assez faibles traces. Ne croyez pas beaucoup au scepticisme des sceptiques. Ils n’ont fait le plus souvent que changer l’objet de leur cré-