Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/113

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Je remarquai même qu’il avait l’air sombre. Je crus qu’il s’apprêtait à me gronder, parce qu’il me surprenait à flâner ainsi, et je n’osai détourner la tête.

Mon embarras dura bien deux ou trois minutes.

À la fin, étonnée de n’attraper ni gronderie ni gifle, — car il était réputé pour avoir le geste prompt, — je pris mon courage à deux mains et me relevai d’un bond.

Jugez de ma stupéfaction, quand je constatai qu’il n’y avait dans le pré que mes vaches et moi.

À moins de s’être abîmé sous terre, le maître ne pouvait avoir disparu si vite. D’autre part, il n’y avait pas de doute possible : c’était bien son image que je venais de voir là, dans l’eau de la rivière.

Je ruminai cette aventure étrange tout le reste de la journée.

À la brume de nuit, je rentrai avec mes bêtes. La première personne dont je fis rencontre, en ouvrant la barrière du Coat-Beuz, ce fut précisément le maître.

— Il m’a rien dit là-bas, pensai-je ; mais il va me rudoyer maintenant.

Pas du tout ! Il m’accueillit au contraire avec des paroles joyeuses, m’accompagna dans l’étable, et me montra gentiment comment il fallait attacher les vaches, chose dont je m’étais jusqu’alors acquittée assez mal.

Le voyant de si bonne humeur, ma foi ! je me mis à causer.

— Vous avez dû avoir bien chaud, ce midi, Jean Derrien, quand vous avez passé du côté des prés.