Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et Treztêl, juraient leur plus grand serment que pas un navire n’avait été en vue et que pas un canot n’avait rangé la côte.

Ma mère rentra, la figure toute pâle.

La journée se passa pour nous à attendre la nuit avec impatience, et cependant à craindre sa venue.

Comme nous nous mettions à table pour souper, le second de mes frères, qui était allé la veille par mer à Perros, se montra dans le cadre de la porte. Nous ne comptions pas sur lui avant la marée suivante. J’apportais son couvert, et le repas commença. Tout à coup, mon frère poussa un cri :

— On a donc suspendu aux poutres de la viande saignante ? dit-il, en levant les yeux au plafond.

— Tu auras bu de trop, répliqua ma mère, que cette exclamation avait troublée.

Damen ! voyez plutôt. Ce ne sont cependant pas des gouttes d’eau salée que j’ai là.

Il avait posé sa main à plat sur la table. Sur le dos de cette main, trois larmes rouges étaient en effet tombées on ne sait d’où, trois larges gouttes de sang frais[1].

Ma mère devint aussi blanche qu’un cadavre.

— Pour sûr, murmura-t-elle, il y a un malheur sur l’un des nôtres.

Chacun gagna son lit. Mais une même pensée nous tint tous éveillés, jusqu’à ce que la fatigue eût raison de notre épouvante. Nous écoutions si les rameurs inconnus ne faisaient pas entendre le bruit cadencé

  1. Cf. P. Sébillot, Traditions et Superstitions de la Haute-Bretagne, I, p. 267. — [L.M.]