Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/264

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trouva la porte encore fermée. L’idée lui vint de regarder par la fenêtre. Elle vit alors une chose bien triste. La moitié du corps de Marie-Jeanne Hélary pendait hors du lit, et sa tête posait sur le banc-tossel. La femme Rojou courut d’une haleine à la ferme.

— Prends un levier, dit-elle tout essoufflée à son homme, et suis-moi.

Le levier servit à jeter la porte dans la maison. L’odeur de la morte infectait, sa chair tombait déjà en pourriture. Rojou et sa femme la tirèrent cependant du lit et l’étendirent sur la table.

— Nous allons toujours l’ensevelir, dit l’homme. Vois donc si tu ne trouveras pas dans l’armoire quelque pièce de toile propre, car les draps du lit sont sales et presque en lambeaux.

La femme Rojou n’eut pas plus tôt ouvert l’armoire qu’elle demeura émerveillée, comme en extase. L’armoire était comble de linge tout neuf, qui sentait bon la lavande, et qui était blanc comme neige et fin au toucher comme de la soie.

— Oh ! la belle armoirée ! s’écria la femme Rojou. Et le malin esprit lui souffla aussitôt une vilenie dans l’oreille.

Vous n’êtes pas sans savoir combien les ménagères aiment le beau linge et comme elles s’enorgueillissent, à chaque lessive, de l’entendre claquer au vent, sur l’herbe des prés, puis de le voir se disposer en hautes piles sur les étagères, dans les armoires de chêne. Le rêve de la femme Rojou avait toujours été de pouvoir, comme la vieille Marie-Jeanne, passer ses journées à filer de fin lin qu’elle verrait ensuite se transformer