Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/445

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hommes sont les hommes, et cette Naïc était vraiment une enjôleuse.

Il est probable qu’ils trinquèrent à la santé l’un de l’autre. Puis ils s’en furent coucher dans le même lit.

Mon frère ne fut pas plus tôt allongé à côté d’elle, dans les draps, qu’il lui passa dans l’esprit une idée singulière.

— Hein ! dit-il à la nouvelle épousée, si Jean-Marie Corre nous voyait ici comme nous sommes !…

Jean-Marie Corre était le nom du premier mari de la veuve.

À peine eut-il achevé cette phrase, mon frère sursauta.

En face de lui, Jean-Marie Corre était assis à table, devant le verre qu’il venait à l’instant de vider lui-même.

— Naïc, murmura mon frère, regarde donc !

— Quoi ?

— Est-ce que tu ne reconnais pas celui qui est là ?

— De qui parles-tu ? Je ne vois personne.

— Tu ne vois pas Jean-Marie ?

— Eh ! laisse-moi tranquille avec Jean-Marie ! Si tu n’as rien de mieux à me dire, dormons !

Là-dessus, Naïc tourna la tête du côté du mur. Elle avait bu pas mal dans la journée. Au bout d’un moment elle ronflait.

Mon frère n’essaya plus de la réveiller. Mais il demeura, quant à lui, sur son séant, les yeux rivés au spectre de Jean-Marie Corre toujours immobile. Il sentait ses cheveux dressés sur sa tête, aussi raides que les dents d’un peigne à carder l’étoupe.