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que je comprends trop pour ne pas la partager. Si vous avez besoin de moi, pour n’importe quel renseignement, faites un signe et j’accourrai.

Mme d’Oyrelles n’avait fait aucun signe, et pourtant Mme Magnin accourait à la Gerbière, pensant qu’il était temps de revenir à la charge.

Elle était déjà pelotonnée dans un fauteuil et occupée à enlever avec hâte un de ses gants, afin de fouiller plus aisément dans une liasse de lettres qu’elle avait dans son manchon. Son visage ridé, toujours en mouvement, était éclairé par deux yeux gris qu’elle levait souvent au ciel sans qu’on pût savoir si c’était en souvenir de ses chagrins ou en prévision de ses espérances. Son nez était long et pointu. Depuis longtemps elle avait perdu ses cheveux et portait perruque, avec des frisures blondes qui retombaient sur le front. Cette couleur blonde qui, sans doute, avait été autrefois la sienne, ne s’harmonisait pas avec sa peau qui avait pris des tons de vieux parchemin. Jamais ombre de chaleur sanguine ne lui montait aux joues. Depuis les frisures jusqu’au menton, jusqu’à ce qu’on voyait du cou, c’était uniformément jaune comme une charte. L’aspect général de Mme Magnin et ses manières elles-mêmes révélaient plutôt l’adresse que l’intelligence. On y trouvait un penchant à louvoyer ; elle était souvent indiscrète, et on l’accusait d’insister à l’excès : au fond, assez commune et incapable de franchir un certain niveau. Elle excellait à présenter les choses sous un jour favorable, sans se préoccuper outre mesure de l’exacte vérité. Sa physionomie rappelait beaucoup celle des bonnes vendeuses ; son sourire en avait les complaisances. Née dans une position où il lui eut fallu gagner sa vie, elle aurait fait fortune dans le commerce. Sa mise était soignée. Elle portait d’ordinaire une robe noire, en étoffe soyeuse, et un manteau long, avec de grandes poches, garni de fourrure en hiver et de jais en été, le tout très bien fait et souvent renouvelé. Ce qui ne changeait pas, c’était son chapeau orné d’un bouquet de pensées. On ne la voyait jamais avec d’autres fleurs. Depuis des années, quand ses pensées de velours violet au cœur d’or étaient fanées, elle les remplaçait par d’autres, exactement semblables. C’était d’ailleurs commode pour la reconnaître de loin, quand on avait à lui parler.

Lorsque Mme d’Oyrelles entra dans le salon, Mme Magnin réunit ses papiers dans sa main gauche et s’avança avec empressement :

— C’est moi, chère madame, c’est encore moi. Je n’ai pu résister au désir de vous communiquer les excellents détails que j’ai recueillis à nouveau sur votre futur gendre. Oui, quoique j’aie servi d’inter-