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médiaire et que je dusse peut-être garder plus de modestie, je ne puis m’empêcher de vous féliciter d’un pareil choix.

— Permettez, chère madame, interrompit Mme d’Oyrelles, je suis très flattée de la recherche de M. de Frumand ; mais n’allons pas si vite. Jusqu’à présent… il n’y a rien de fait…

Mme Magnin leva les yeux au plafond en souriant d’un air de sphinx.

— Je suis sûre que cela se fera ! Votre charmante Jeanne ne passera pas à côté du bonheur. Que dit-elle, la chère enfant ?

Mme d’Oyrelles s’arrangea de façon à ne pas répondre, elle n’aimait pas qu’on s’introduisît dans ses réserves maternelles. La visiteuse s’empressa d’ailleurs de reprendre sa phrase.

— Je disais donc que j’ai appris sur toute la famille des choses excellentes. La mère est une femme des plus distinguées, c’est une vertu antique !

— Ah ! vraiment !

— Figurez-vous qu’elle se lève tous les jours à quatre heures du matin.

— Cela prouve du courage.

— Ensuite elle passe deux heures en contemplation

— Comment cela ? demanda Mme d’Oyrelles.

— Attendez ! je me trompe… en oraison, voulais-je dire… C’est depuis qu’elle a perdu ses enfants : six enfants, chère madame, dont quatre sont morts et deux sont entrés au couvent, ce qui est tout comme. Il ne lui reste plus que son fils Henri. Mais celui-là, c’est son chef-d’œuvre !

Mme d’Oyrelles la laissait parler, cherchant à démêler sous un fatras de détails superflus, ce qui pouvait réellement l’éclairer, elle l’écoutait avec un intérêt évident et même croissant. De temps à autre elle disait un mot ou faisait une réflexion. Mme Magnin parlait d’abondance et se lançait à fonds perdus.

Pendant plus d’une heure elle discourut. Le notaire, la fortune, les espérances, la vie de la famille depuis trois générations, tout y passa. Elle avait beau jeu, n’ayant rien à cacher dans la circonstance. Plusieurs lettres, qu’elle avait reçues d’Orléans, furent communiquées à Mme d’Oyrelles. Mme Magnin avait eu soin d’en souligner les principaux passages. C’était une vraie plaidoirie, avec un dossier en règle, à laquelle il ne manquait rien, pas même la péroraison sentimentale sur l’amour passionné que Jeanne avait inspiré à M. de Frumand.

Mme d’Oyrelles ne paraissait pas s’échauffer comme l’eût souhaité l’avocat et comme l’eussent mérité tant d’efforts. Pourtant, elle était de plus en plus satisfaite de tout ce qu’elle apprenait, mais, aussi, décidée à n’en rien montrer avant l’heure.