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M. de Frumand connaît beaucoup les de Cisay ? demanda-t-elle tout à coup.

Mme Magnin eut un singulier mouvement, ses yeux clignotèrent. On put saisir le travail de son cerveau, si rapide qu’il fut.

— C’est-à-dire que les jeunes gens ont été au collège ensemble.

— Mais, depuis, n’ont-ils pas continué leurs relations ? Je les croyais dans une grande intimité.

— Oh ! très relative. Mon cousin Rodolphe, qui n’est pas un saint, trouve que M. de Frumand a trop de zèle.

C’était par instinct que Mme Magnin répondait ainsi. Elle sentait vaguement qu’il ne serait pas bon de mêler Bernard à son affaire, et, quoique ce fût sur les instigations du comte de Cisay que la chose avait été mise en train, elle avait compris qu’il ne tenait pas à paraître. Mme d’Oyrelles, au contraire, la voyant hésiter, insista :

— Mon Dieu, dit-elle négligemment, mais sans la quitter des yeux, je ne vous cacherai pas que je ne veux rien faire à la légère et que je compte, avant de me décider, prendre des renseignements partout. J’avais pensé que MM. de Cisay pouvaient m’en fournir, et je comptais…

— Que vous manque-t-il, chère madame ? Dites-le moi plutôt et j’agirai pour vous. De ma part, ce sera sans importance, tandis que de la vôtre, c’est beaucoup plus difficile… et surtout moins sûr, parce qu’on n’ose pas dire à une mère ce qu’on dit à une tierce personne. Voulez-vous que je parle à Rodolphe ?

— Non. Je vous remercie.

Mme Magnin se hâta de glisser sur un autre point du sujet.

— Remarquez, dit-elle, que M. de Frumand aura une dot égale à celle de votre fille, ce qui est une exception, une rareté dans un mariage, ce qui ne se voit, pour ainsi dire, jamais. Il est tout naturel qu’une jeune fille apporte une fortune deux ou trois fois supérieure à celle de son mari. C’est reçu. C’est ce qui se fait partout. Vous trouvez là, chère madame, des avantages pécuniaires inespérés.

— Sans doute, répondit Mme d’Oyrelles, qui n’attachait peut-être pas à cette considération toute l’importance qu’elle méritait.

Mme Magnin sembla se recueillir un instant pour voir si elle n’avait rien oublié. Puis, probablement satisfaite de son examen, elle se leva pour prendre congé de Mme d’Oyrelles.

— Je m’en vais pleine d’espérance, dit-elle en lui tenant la main. Répétez-le à votre charmante fille.

— Elle sera aussi touchée que moi, madame, de toute la peine que vous vous donnez pour nous.

— Ne me remerciez pas, reprit Mme Magnin avec un regard noyé ;