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Mme d’Oyrelles parut se consulter. Il y eut un moment de silence général. Le comte, qui n’avait cessé d’être inquiet depuis l’arrivée du marquis et de Bernard, s’était remis en place devant le feu. Bernard était froid et se tenait raide.

— Je vous en remercie, dit Mme d’Oyrelles. Je sais maintenant à quoi m’en tenir… Permettez-moi cependant une dernière question à laquelle j’attache beaucoup d’importance… Je voudrais bien avoir l’avis de M. Bernard qui, jusqu’à présent, est resté silencieux.

En achevant sa phrase, elle s’était tournée vers le jeune homme et le regardait avec un soi-disant sourire qui cachait à peine une curiosité anxieuse. Bernard devint blême. Il sentit que tous les yeux s’attachaient sur lui. Le marquis était au supplice, prêt à éclater. Le comte s’agitait, tremblant de ce qui pourrait arriver. Vingt réponses se pressaient sur les lèvres de Bernard, il les contenait toutes.

— Eh bien, reprit Mme d’Oyrelles, que me direz-vous de M. de Frumand ?

Bernard fit un suprême effort, et, d’une voix qui n’était plus la sienne :

— Madame, dit-il, c’est mon meilleur ami !

Mme d’Oyrelles se leva. Désormais, elle était éclairée.

— Très bien, murmura-t-elle.

Le comte ne put retenir un soupir. Il avait eu peur. Le marquis fit trois pas, furieux et s’en alla redresser un cadre qui était de travers contre la muraille. Puis, comme Mme d’Oyrelles allait se retirer, tous trois l’entourèrent et la reconduisirent.

Dix minutes après, Bernard s’était enfui dans sa chambre. Le comte était revenu s’asseoir en face du feu. Il tisonnait encore avec un regard fixe. Pour la première fois, en saisissant au vif la profonde souffrance et le beau courage de Bernard, il lui venait à l’esprit un vague remords, un vague soupçon du mal qu’il avait fait à son fils. Son œuvre allait réussir. Mme d’Oyrelles allait accepter M. de Frumand, et pourtant le comte se sentait souverainement mécontent. L’accent douloureux de Bernard lui sonnait aux oreilles. Il était devenu triste comme en face d’une chose brisée.

Debout devant la fenêtre fermée, du côté du parc, le marquis tambourinait sur les vitres. Il était en rage. Lui aussi s’en voulait à lui-même, mais plus franchement que le comte. Il se désolait de n’avoir pas lancé la vérité, au hasard, la vraie vérité qui éclaircit tout. Resté enfant jusque dans ses colères, il avait envie de trépigner sur place, son regret l’étouffait. Comment avait-il pu prêter les mains au supplice à froid qu’on avait imposé à son Bernard ! « Il est plus fort que nous », pensa-t-il.