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— Qu’il aille chez Bernard ! reprit M. de Cisay.

— C’est à M. le marquis que M. de Frumand désire parler.

— Ah ! par exemple !

La réflexion fit deux tours dans sa tête. Le marquis rapprocha cette visite matinale des renseignements que Mme d’Oyrelles était venue chercher la veille. Il se demanda pourquoi Frumand tenait à le voir en dehors de Bernard, et flairant quelque mystère, quelque écheveau à débrouiller pour lequel on avait recours à lui, il se complut dans une certaine importance :

— C’est peut-être curieux, pensa-t-il. Il faut voir.

Courtois attendait, incertain. L’autre domestique se tenait immobile au pied du lit.

— Eh bien, dit tout à coup le marquis, dans cinq minutes, vous ferez entrer M. de Frumand. Courtois, donne-moi ma flanelle.

Courtois obéit, non sans manifester une surprise qui touchait au mécontentement. Pour un matin, ses habitudes allaient être bouleversées, les heures changées. Il était presque scandalisé que M. le marquis, si jaloux d’ordinaire de sa toilette, consentît à recevoir un étranger avec un pareil sans façon. Néanmoins il apporta au marquis un déshabillé de molleton blanc, qui venait d’un bon tailleur anglais. C’était à la fois chaud, élégant et d’une forme aisée qui convenait à l’usage qu’on en voulait faire. Le pantalon était large et la veste à grands revers bleus, sous lesquels se nouait la cravate, pouvait à volonté s’ouvrir sur la chemise ou se boutonner jusqu’au cou. M. de Cisay n’ignorait point que ce costume un peu singulier lui allait fort bien, et parfois il se donnait le plaisir de le mettre pour se promener dans le parc avant le déjeuner. Il y a des tenues négligées qui n’en sont pas moins irréprochables. C’était celles qu’il aimait.

Pendant qu’il se lavait la figure et les mains, dans son cabinet de toilette, son imagination travaillait sur Frumand :

— Qu’est-ce qu’il y a là-dessous ? se demandait-il. En tous cas je vais le faire causer…

Il se donna un coup de brosse, s’aspergea d’extrait de violettes, et revint vers Courtois avec un regard qui voulait dire :

— Suis-je bien ?

Et Courtois ayant examiné son maître de la tête aux pieds sans faire aucune observation, le marquis se tint pour approuvé. En deux tours de main, et plus vite qu’on ne l’aurait supposé, le vieux domestique redressa le lit, enleva le plateau et donna à la chambre un aspect rangé. Pendant ce temps-là, M. de Cisay s’installait dans le grand fauteuil, au coin du feu, et se renversait en arrière, avec un sourire vague et un air de finesse qui s’adressait à ses pensées.