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— J’entends que l’avenir de Bernard reste en dehors de nos pertes. Il n’en dépendra qu’autant qu’il le voudra bien.

— Ce serait l’idéal… Mais l’idéal n’est pas de ce monde.

— Parce qu’on l’en chasse toujours. Ceux qui savent l’appeler le voient venir à eux. Je l’ai connu, moi, l’idéal, j’en ai vécu !

Bernard sentit son cœur bondir, car rien n’est doux pour la jeunesse comme de voir chez un vieillard une foi qui est restée jeune et un enthousiasme qui ne s’est point éteint.

— Voyons, reprit le marquis, avec ce qui nous reste, il y a des gens qui trouveraient moyen d’équilibrer leur budget. Aidez-moi, mes enfants… Notre hôtel de Paris.

Il s’arrêta… Il voulait voir si sa pensée serait comprise, et son œil se promena de son fils à son petit-fils. Au même moment, par une sympathie de race, par une conformité de caractère et de déduction, la même pensée venait de traverser l’esprit de Bernard. Leurs regards se croisèrent.

— Si nous le vendions ! s’écria Bernard, qui se leva, ne pouvant contenir son élan.

— Je voulais vous le proposer, mes amis.

— Comment cela ? Où vivrions-nous, objecta le comte ?

— Ici, parbleu ! Nous voilà bien à plaindre. Un château superbe et des revenus suffisants, car cette vente nous donnerait de beaux revenus ! Tu les placeras, Rodolphe, ajouta le bon marquis par habitude.

Puis, se reprenant à la hâte :

— Nous les placerons ensemble !

Rodolphe resta froid :

— Vous pourriez vous résigner à habiter la campagne, l’éternelle campagne !

— Pourquoi pas ? s’écrièrent ensemble le marquis et Bernard qui se lançaient, au contraire, dans cette heureuse idée avec tout l’emportement de leur imagination.

— D’ailleurs, reprit M. de Cisay, habiter dans ses terres, c’est une des doctrines favorites de nos jeunes réformateurs. N’est-ce pas, Bernard, que vous prêchez là-dessus, toi et tes amis ? J’ai même aperçu l’autre jour un de vos journaux qui expliquait tout au long l’influence de la classe dirigeante sur les fermiers, les ouvriers, les domestiques et prônait le séjour aux champs…

Le marquis était fier d’avoir trouvé sa solution, solution acceptable, puisque Rodolphe lui-même n’y faisait pas d’objection de fond. Mais il était surtout heureux de penser que, grâce à lui, Bernard allait être libre. Il savait que le comte n’avait d’autre argument pour pousser au mariage Fulston que celui de l’argent