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nécessaire, et il ne se dissimulait pas l’importance du coup qu’il venait de porter à l’Américaine. Or vaincre l’Américaine, c’était rapprocher Bernard de Jeanne d’Oyrelles, projet dont M. de Frumand lui avait fait comprendre les beautés, et qui d’ailleurs, dès l’origine, avait eu les sympathies inavouées du marquis.

Tous deux, le grand-père et le petit-fils s’embarquèrent dans une foule d’arrangements qui avaient pour but la vie à Chanteloup. Ils ne comprenaient pas qu’ils n’y eussent pas songé plus tôt. C’était la meilleure des existences. Bernard avait beaucoup de raisons pour se plaire aux environs de Fontainebleau. De la part du marquis, c’était peut-être un peu plus méritoire. Mais il y allait d’aussi bon cœur que le jeune homme.

— Paris, disait Bernard, est absolument inutile comme séjour.

— Sans doute, répondait M. de Cisay, puisqu’on peut y aller quand on veut.

— Nous en sommes si près !

— Le chemin de fer est si commode !

— Et tes œuvres ? demanda ironiquement le comte.

— J’espère qu’elles n’en souffriront pas. J’ai bien le dessein de ne pas les oublier, et je leur donnerai d’autant plus de temps que j’irai à Paris exprès pour elles.

— Eh bien ! dit le marquis… voilà qui est décidé… n’est-ce pas ? Si Rodolphe s’ennuie trop ici pendant l’hiver, nous trouverons moyen de lui louer à Paris un appartement de garçon. Car je crois vraiment, et j’ai presque honte de l’avouer, je crois que nous allons faire des économies !

Le comte, un peu embarrassé, remercia son père et déclara qu’il ne voulait rien de particulier et qu’il vivrait de la vie des autres. Ses goûts ne le portaient pas à la dépense, et trop de fois il avait cherché le moyen de rétablir l’équilibre dans le budget pour s’élever contre une pareille réforme.

— Alors, c’est parfait, déclara le marquis. Je me trouve, sur le tard, des aptitudes mathématiques.

Bernard était toujours debout. Il s’agitait, n’écoutant plus que d’une oreille, et pressé du désir d’entamer la seconde partie de l’ordre du jour. Le marquis oubliait-il d’amener la délibération sur le mariage de Bernard, ou avait-il dessein d’en laisser l’initiative à son petit-fils ? Le jeune homme se le demandait, et, sentant le moment venu, voyant qu’il attendait en vain, il commençait à s’alarmer. Plusieurs fois, il avait levé les yeux sur son grand-père. M. de Cisay n’avait pas fait mine de comprendre. Alors Bernard se décida. Il pensa qu’il ne serait jamais en meilleure position pour adresser à son père une nouvelle requête, et, tâchant d’être calme,