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DEUX AMOURS


I

— J’ai à vous parler sérieusement, ma chère Edwige, dit Armand qui, depuis quelques instants, semblait si préoccupé, qu’à tout instant il devenait silencieux, laissant tomber l’entretien que je m’efforçais en vain de renouer.

Nous étions assis au coin du feu, un de ces premiers feux de l’automne qui ont tant de charme et qu’on allume le soir quand le soleil, après avoir de ses rayons et de sa chaleur réjoui l’après-midi, vient à se retirer tout à coup, laissant tout derrière lui sombre et froid. La flamme qui éclairait son visage me le montrait grave et ému. Le grand calme de la campagne, particulièrement silencieuse en cette saison, régnait autour de nous. L’horizon, où descendaient déjà les ombres du soir, s’étendait à perte de vue devant les trois larges croisées de la vaste pièce où nous étions, montrant à nos regards les pelouses, les bois, la vallée avec ses ondulations et, tout au fond, le village avec le clocher de son église un peu penché.

— Je vous écoute, lui dis-je, troublée moi-même.

Je m’efforçais de paraître calme, mais mon cœur battait secrètement. Depuis plus d’un an j’avais compris qu’il m’était cher, si cher qu’en épouser un autre m’eût paru impossible. En vain mon père, désireux de mourir tranquille sur mon avenir (il se sentait malade), m’avait-il successivement proposé divers mariages qui lui semblaient faits pour assurer mon bonheur, rien n’avait pu me décider à faire le sacrifice de cette espérance caressée tout bas : devenir un jour la femme d’Armand de Montalaire, ce camarade de mon enfance, le fils de notre meilleur voisin. Et voilà comment j’étais arrivée à l’âge de vingt-deux ans sans être mariée encore.

— Vous le permettez, dit-il, je vais donc vous ouvrir mon cœur. J’aime votre cousine Marguerite. Elle est non seulement votre