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II

Je n’avais pas besoin de me livrer à une enquête sur les dispositions de Marguerite à l’égard d’Armand ; je les connaissais. Il lui plaisait infiniment ; elle me l’avait dit bien des fois et si, dans sa candeur absolue, elle ne songeait pas à lui pour elle-même, son amitié de sœur y pensait évidemment pour moi, vantant son caractère, admirant sa distinction, le trouvant parfait, n’imaginant rien de mieux que lui. Étant de son avis et aimant comme elle ce sujet, nous y étions souvent revenues, et je savais d’avance que si je lui avouais la confidence reçue, la démarche dont j’étais chargée, elle l’eût accueillie avec une vraie joie.

Mais je ne pouvais m’y décider. Voir devenir sa femme cette enfant recueillie sous notre toit par bienveillance et vis-à-vis de laquelle il me semblait m’être acquittée déjà en la traitant comme une sœur, renoncer à l’espoir depuis longtemps caressé pour moi-même, non, je ne pouvais m’y résoudre ! Tout était entre mes mains. Un mot de moi, un mot dont dépendait le sort de ce projet, suffisait pour le faire échouer ou réussir. Armand m’avait confié sa destinée, il attendait ma réponse. Lui dire que mon amie n’avait pas de goût pour lui, c’était assez pour le faire renoncer au rêve qu’il avait conçu. Découragé, redevenu maître de lui-même, pourquoi ne se retournerait-il pas alors vers moi pour qui il avait déjà de l’amitié, de la confiance ? Une chose me tourmentait : c’était l’idée du tort que je faisais à Marguerite, mondainement parlant, en la privant de ce brillant mariage. Chose étrange ! cela me semblait plus coupable que de lui enlever une affection qui lui appartenait indûment, me semblait-il, tant l’amour s’imagine avoir des droits à l’amour. Passionnément éprise d’Armand, conquérir son cœur à tout prix me paraissait presque mon droit. Mais Marguerite était pauvre, elle ne retrouverait jamais peut-être un semblable parti ; qui sait même si elle parviendrait à se marier ? Et cette pensée m’arrêtait.

— Eh bien, me dit Armand une semaine plus tard, en prenant ma main, avez-vous parlé ?

Je secouai la tête avec un geste peu encourageant.

— Cela ne va pas ? demanda-t-il anxieux.

J’hésitais.

— Je ne suis pas sûre encore, je ne crois pas. Laissez-moi pourtant quelques jours avant une réponse définitive.

Il était devenu très pâle ; mais son chagrin, au lieu de me toucher, ne devait servir qu’à m’irriter davantage.