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— Voici un grand événement, me dit mon père, le soir, après que ma cousine, qui se couchait de bonne heure, se fût retirée. Il se présente pour Marguerite un parti inespéré.

Un trouble extrême s’empara de moi. Je crus qu’Armand s’était adressé à lui directement. Il continua :

M. des Aubiers la trouve charmante. Il est riche, bien élevé, fort bien de sa personne. J’en parlerai dès demain à ma nièce en l’engageant à l’accepter. Toi, de ton côté, si elle te consulte, dispose-la dans le même sens, car c’est un mariage on ne peut plus désirable pour la chère enfant, et j’en remercie Dieu.

Il me semblait que c’était en effet le ciel qui me venait en aide. Je n’avais plus désormais à m’inquiéter de la question matérielle. M. des Aubiers avait une fortune plus considérable même que celle d’Armand ; s’il sollicitait la main de Marguerite tandis qu’il pouvait prétendre à une personne beaucoup plus favorisée du côté des biens de ce monde, c’est que ma cousine lui plaisait, et c’était pour elle-même qu’il désirait l’épouser. En de pareilles circonstances, ce mariage se présentait sous d’heureux auspices, il promettait de la rendre heureuse. Mon père m’engageait à user de mon influence pour la déterminer à accepter. Est-ce que mon devoir n’était pas tout tracé ? Pleine de confiance en moi, subissant l’ascendant de mon amitié pour elle, celui aussi de mon âge et de mon expérience, Marguerite n’hésiterait pas à accorder sa main à M. des Aubiers. J’étais donc sauvée.

Et pourtant une voix que j’étouffais, une voix puissante, celle de la conscience, me disait que je n’avais pas le droit de laisser Marguerite s’engager, sans l’avertir auparavant des vœux d’Armand. Elle devait avoir le choix et décider entre eux. Je cherchais à ne pas entendre cette voix. C’est une enfant, me disais-je, elle prendra indifféremment l’un ou l’autre, sans qu’il y ait avantage pour elle à épouser l’un plutôt que l’autre, tandis qu’il est si important pour moi que ce soit plutôt celui-ci que celui-là ! En tout cas, pensais-je, par une sorte de compromis, je lui parlerai d’abord de M. des Aubiers. Si elle l’accepte, ce sera une question vidée ; si elle le refuse, il sera temps de l’entretenir d’Armand. Et en me berçant de ces spécieuses raisons, je parvins à endormir à demi les scrupules qui luttaient mal contre mon impérieuse volonté.


III

— Ainsi tu m’engages vraiment à dire oui, ma bonne Edwige ? disait Marguerite le lendemain, un bras passé autour de mon cou.