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guerite, qui avait donné son consentement la veille à M. des Aubiers, se promenait avec lui dans l’allée qui entourait la pelouse vis-à-vis du château. Je les voyais marcher à pas lents, échangeant des paroles souvent coupées de silences, paraissant par intervalles dans les endroits découverts et disparaissant derrière les massifs, elle un peu pâle dans ses vêtements de deuil qu’elle n’avait pas quittés depuis près de trois ans, la mort de son père ayant succédé à celle de sa mère ; lui irréprochable en tous points, mais, par cette perfection même, singulièrement banal en comparaison d’Armand.

J’étais si occupée à compter les fils du canevas et surtout à suivre mes pensées, que je n’entendis pas s’arrêter au perron le phaéton de M. de Montalaire ; aussi quand, la porte s’ouvrant, il se trouva devant moi à l’improviste, je fus si surprise et si troublée, que j’eus un petit cri pour l’accueillir. Il était tout défait, tout ému, et venant droit à moi, posant sa main sur mon bras :

— Edwige, est-ce possible, dit-il, ce que je viens d’apprendre ? Votre cousine épouse M. des Aubiers ?

Je lui répondis par un signe de tête, n’osant me fier à ma voix.

— Vous le saviez, et vous ne m’en avez rien dit ? Si j’avais été averti, peut-être aurais-je tenté de l’en empêcher en m’adressant à elle directement. Puisqu’une autre proposition lui était adressée en même temps, je n’aurais plus eu la crainte qu’elle ne m’acceptât que par une sorte de nécessité. Maintenant il est trop tard, sa parole est donnée et… grand Dieu ! je l’aperçois là-bas seule avec lui, sa fiancée ! mais je ne m’explique pas votre silence.

— Avais-je le droit de trahir, même en votre faveur, le secret d’une autre ?

— Du moins lui avez-vous bien fait comprendre, lui avez-vous bien répété que, moi aussi, je sollicitais sa main, que je la désirais ardemment ? Ah ! je vous en veux de n’avoir pas mieux réussi…

Sa douleur, la honte de ce que j’avais fait, me bouleversaient. Je fondis en larmes.

— Pardon, dit-il en se calmant aussitôt, je suis ingrat. Excusez mon chagrin.

Je lui tendis la main. Il la prit et la retint dans la sienne en la serrant fortement.

— Vous êtes bonne, continua-t-il, vous avez pitié de moi, vous pleurez moins de ma brutalité que du chagrin de n’avoir pas mieux réussi à seconder mes désirs. Croyez cependant que je n’en suis pas moins pénétré de reconnaissance et voyez toujours en moi le meilleur de vos amis.

— Merci, murmurai-je, pleine de confusion.