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vraiment de douceur à devenir mère que si l’on aime avec passion le père de son enfant.


VI

Plus de deux ans s’étaient écoulés. Vers la Toussaint, à l’occasion de baux de fermes à renouveler, de vente de bois à conclure, Armand était revenu, pour passer, disait-il, quelques semaines chez lui. Affectueusement accueilli par mon père, trop seul en sa demeure, il avait bientôt repris ses habitudes d’intimité avec nous. Peu de jours se passaient sans que nous le vissions arriver. Ce fut là, un matin à déjeuner, qu’il revit pour la première fois Mme des Aubiers ; le hasard les plaça précisément l’un à côté de l’autre à table. Un peu ému d’abord, il ne tarda pas à se remettre, et je pus remarquer de quel ton de sérieux intérêt il causait avec elle, cherchant à se rendre compte de ses impressions, de ses sentiments, de sa vie, de tout ce qui la concernait enfin. L’examen fut satisfaisant sans doute, car une expression de sérénité se répandit sur ses beaux traits graves.

— Elle me semble tout à fait heureuse, me dit-il quand nous nous retrouvâmes au salon.

Nous étions debout dans l’embrasure de la croisée par laquelle on apercevait au dehors les horizons de la campagne, radieux dans la pleine lumière qui les inondait. Les arbres étalaient sur les pelouses les nuances variées à l’infini de leurs feuillages divers, les uns d’un jaune clair comme des paillettes d’or, les autres d’un rouge ardent semblable aux rayons du couchant, d’autres d’un vert sombre, d’un brun mélancolique.

Pour toute réponse, je lui montrai du doigt le petit garçon qu’elle venait de reprendre à sa nourrice et qu’elle tenait dans ses bras, se dirigeant vers nous le sourire aux lèvres.

— Nous l’avons appelé Armand, dit-elle en rougissant un peu. Mon mari dit que c’est son nom favori.

Marguerite avait demandé sa voiture de bonne heure, attendant du monde chez elle. Elle partit bientôt. Mon père alla faire sa sieste dans la bibliothèque, et nous nous trouvâmes seuls, Armand et moi, à cette place auprès de la cheminée, où nous avions causé si souvent déjà dans une intimité simple et douce.

C’était une de ces après-midi d’automne où le soleil qui brille le matin disparaît bientôt sous une teinte bleuâtre qui l’enveloppe à demi. Ce n’est pas la tristesse d’un jour chargé de nuages, ce n’est pas non plus l’éclat fatigant d’un ciel d’azur ; c’est ce charme