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Il parlait d’une voix grave et lente, et je me sentais pénétrée de respect pour la manière simple, vraie, profonde, dont il me laissait entrevoir ce qui se passait en lui. Sans dédaigner une affection qui avait longtemps occupé son cœur, que le devoir l’avait aidé à vaincre, mais dont il gardait le souvenir et l’estime, il ne se refusait pas à en accueillir une nouvelle dans le domaine du possible.

— Si vous pensez vraiment, lui dis-je, que cela puisse être pour vous le bonheur, je serai à vous, Armand, et heureuse, bien heureuse, car moi, je n’ai personne à oublier…

Il porta ma main à ses lèvres.

— Merci, dit-il.

Personne, non, pensais-je ; je l’avais uniquement aimé. Mais que ne pouvais-je dire aussi que je n’avais rien à oublier ? Hélas ! n’y aurait-il pas toujours entre lui et moi le fantôme inconnu de ma trahison ? Moralement, goûte-t-on le repos en dehors de la paix de l’âme ? Et, humainement, peut-on jouir de l’amour, même réciproque, lorsqu’on se cache quelque chose ? Douloureux problèmes qui devaient désormais torturer mon cœur.

Il continua :

— Peut-être vous semblera-t-il étrange que ce soit à vous, que j’avais prise pour confidente, que je m’adresse aujourd’hui. Mais, c’est étrange, il me semble que ce que vous savez est un lien entre nous ; et, pour moi, j’en sens ma confiance accrue. Il fait si bon se mouvoir dans la franchise et la vérité !


VII

Mon rêve s’était réalisé. J’étais sa femme et il me disait qu’il était heureux. L’était-il réellement ? L’espérance qu’il s’en faisait avait-elle tenu sa promesse ? Je ne pouvais voir une ombre sur son front sans m’imaginer que c’était un souvenir qui traversait sa pensée. Disait-il un mot aimable à Marguerite, il me semblait y lire un regret. Me parlait-il de sa confiance en moi, je me demandais s’il m’observait et cherchait à découvrir. Sa tendresse, son estime, me faisaient l’effet de choses imméritées. Je ne jouissais pleinement de rien.

Parfois, il me prenait un désir insensé de lui avouer la vérité, d’être méprisée, haïe par lui, mais du moins d’être sincère. La crainte de l’affliger retenait sur mes lèvres cet aveu plein d’épouvante. D’autres fois, j’éprouvais un besoin de toucher à la plaie ; je lui parlais du passé, de ses projets, de ses songes évanouis ; je le conjurais de me dire s’il m’aimait autant qu’il l’avait aimée.