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rapprochons, que nous nous entendons, sont ceux pendant lesquels notre fils est entre nous. Roger a trois ans, il ressemble à son père. C’est lui que j’embrasse, quand je n’ose pas embrasser Armand.

Hier son père lui montrait des images dans un vieux volume aux gravures coloriées, à l’antique reliure, trouvé dans un coin de la bibliothèque, contenant des récits de l’histoire sainte, qu’il se plaisait à lui expliquer. Je travaillais en silence, écoutant les naïves questions de l’un, les patientes explications de l’autre et admirant le charmant tableau qu’ils formaient tous deux.

Armand racontait à son fils le jugement de Salomon, les deux femmes se disputant l’enfant, la froide cruauté de l’une, le cri de l’autre, le cri de l’amour vrai.

— Cet amour-là, disait-il en passant la main sur la jolie tête blonde au regard curieux, cet amour-là se reconnaît à l’oubli de soi-même, au dévouement à la personne aimée qui fait que l’on ne songe qu’à elle, que l’on ne s’occupe que de son bonheur, que l’on n’a d’autre intérêt que le sien.

Il s’arrêta en voyant mes yeux fixés sur lui et, rapidement, tourna la page. Je m’étais levée et me glissant à ses genoux :

— Pardon, lui dis-je, pardon ! Si vous saviez combien je voudrais vous avoir toujours aimé de cet amour-là, combien je souffre et me suis repentie !

Il ouvrit ses bras et les referma sur moi, me serrant en même temps que Roger sur sa poitrine.

— Cet amour dont je parle, dit-il, ma chère Edwige, c’est celui que j’ai pour vous au fond du cœur, et c’est pourquoi, malgré tout, mon pardon vous est acquis, ou pour mieux dire, c’est pourquoi vous n’en avez pas besoin…

Mme Calmon.