Page:Le Dantec — L'Athéisme.djvu/297

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à celui du crocheteur Mesrour. J’ai cru (et ceux qui m’entouraient le croyaient de même, chacun pour son compte ; je pense qu’ils le croient encore), j’ai cru être durable et puissant ; j’ai cru que j’introduisais dans le monde des commencements absolus ; j’ai cru que j’étais en dehors du monde et au-dessus. Ce rêve flattait ma vanité naturelle, mais, en revanche, quelles responsabilités ! quels soucis ! C’est vous, mon cher maître, qui, avec Émile Lacour, avez contribué à m’éveiller ; vous m’avez appris à ne pas me payer de mots et à définir tous ceux que j’emploie ; vous m’avez enseigné la précision du langage, et c’est de là qu’est venu tout le mal ! En essayant de me rendre compte des choses, j’ai compris que l’homme est victime d’erreurs sans nombre. Au lieu d’un être puissant et créateur, je ne trouve plus en moi qu’un misérable transformateur d’énergie, transformateur caduc qui se transforme lui-même sans cesse. Adieu l’immutabilité ! adieu l’individualité, la personnalité, le mérite, la gloire ! Adieu tous les principes, toutes les chimères qui ont embelli ma jeunesse ; mais adieu aussi les craintes, les tortures inséparables du pouvoir.

Y a-t-il compensation parfaite ? Je n’oserais l’affirmer. Si l’on me donnait à choisir entre ce que je suis et ce que j’ai cru être, j’hésiterais peut-être longtemps ; c’est que, depuis quinze ans, je me suis fait à mon nouvel état, et j’ai apprécié l’humi-