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ECHANGES

J’ai souvent préféré la compagnie des peintres à celle des poètes, gens de mon métier. Faut-il, à de telles sympathies, assigner l’intérêt pour mobile ? Et pourquoi non ? Sans le moindre cynisme, on peut, aux amitiés que le cœur seul inspire, adjoindre celles que justifie un opportunisme idéal. Car les intérêts en jeu sont d’ordre spirituel, bien entendu, et je n'expose ni une stratégie, ni une doctrine.

Simplement, je confesse qu’il me semble devoir quelque chose à la fréquentation des peintres — comme d’autres poètes à celle des musiciens ou des financiers. Encore voudrais-je indiquer que de telles rencontres ne vont pas sans périls. Il y a le terrible : « Dis-moi qui tu hantes... ». Et, respectueux de l’intégrité des genres, je me méfie du peintre qui fait dire de lui : « Quel poète ! » — et du poète de qui l’on affirme : « C’est un peintre... »

Calculant les profits et pertes de nos relations électives, avouons que nos semblables et leurs œuvres nous ont appris peu de chose sur nous-mêmes, hormis le dégoût de nous trouver pareils à quelqu’un. L’artiste s’élève en prenant du monde une série de consciences successives et concentriques. Sortir de son domaine est la condition d’y rentrer fièrement. lais il faut bien qu’on y rentre. L’ambiance des ateliers — et je dirais de même celle des concerts, des banques, des campagnes ou des bars, celle des grands magasins, si vous voulez, des parlements, du champ de bataille, des bureaux de rédaction... — favorise l’éclosion d’images et, mieux, de conceptions nouvelles, dans un esprit qui s’ouvre et se referme ensuite pour digérer sa proie.

Le poète trouvera son compte au : leçons du peintre s’il ne se limite pas à copier un tableau, mais s’il observa plutôt comment celui-ci naît d’une vision déformée, disciplinée par les réactions du cœur et du cerveau. L’application de certaines lois de la jeune peinture à la jeune poésie n’a pas été poussée à ses conséquences les plus heureuses. L’imitation littérale de ce qu’on voit importe moins qu’une certaine fraternité de compréhension et le parallélisme des efforts. L’art, plutôt intellectuel, de ceux qui développent la réaction cézannienne dans le sens d’un équilibre neuf, est assis sur des principes auxquels devraient se référer plus souvent les architectes tout d’abord, et les constructeurs de poèmes.

PAUL FIERENS.