Page:Le Franc - Le destin - nouvelle canadienne inédite, Album universel, 25 août 1906.djvu/15

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presque déserte. Pourtant, un homme parut sur le trottoir, rasa la porte de l’hôtel et Andrée, n’en pouvant plus, cria d’une voix ardente et sourde : Maurice ! Mais le passant continua son chemin. En face, il y avait un bar encore ouvert, et les garçons, la serviette sous le bras, venaient de temps en temps à la porte, pour regarder cette ombre penchée depuis si longtemps à la fenêtre.

La demie de onze heures sonna à une église proche… Il ne viendrait pas !… Elle parvenait au sommet de la douleur… Allons, il fallait prendre le chemin de la gare. Elle fit le trajet à pied, dévisageant les rares passants dans l’espoir d’y reconnaître Maurice.

Elle prit son billet pour New-York, enregistra ses bagages, sans un tremblement dans la voix, sans une larme dans les yeux. Puis elle retourna sur le seuil de l’entrée pour sonder la rue encore une fois. Des voyageurs arrivaient qui tous partaient pour l’Europe. Parents et amis étaient venus les accompagner.

Andrée se sentit seule au monde. Elle ne pouvait se décider à gagner la voie qu’elle apercevait de là à l’autre bout du vestibule, mal éclairée, glacée par la rafale de la nuit d’hiver, avec les masses luisantes des locomotives. Ce vestibule lui semblait funèbre. Une fois franchi, ce serait bien la mort, puisqu’elle ne reverrait plus Maurice.

Alors, son cœur creva sous tant de souffrances, et, appuyée à l’un des piliers de pierres grises, elle éclata en sanglots convulsifs. Au milieu de la crise qu’elle traversait, la pensée de Lucien Trémor était impuissante à la sauver.

Minuit ! Elle n’avait même pas le droit de pleurer