Page:Le Franc - Le destin - nouvelle canadienne inédite, Album universel, 25 août 1906.djvu/16

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jusqu’à l’épuisement de sa peine. Il fallait partir. Elle se fraya un passage parmi le flot des voyageurs qui attendaient jusqu’au dernier moment pour monter et formaient des groupes animés sur le trottoir. Andrée se tenait debout sur la plate-forme d’accès au « car », regardant ce ciel étoilé qui abritait la chère petite maison respirant ce vent de la nuit qui rappelait peut-être à Maurice que le petit oiseau n’irait plus frapper à sa vitre…

Tout d’un coup, une fière silhouette passa devant elle d’une allure pressée, semblant chercher à reconnaître quelqu’un dans la foule. Elle cria : Maurice ! et sauta à terre. Elle ne pouvait croire que ce fut lui, et restait là, pétrifiée, à le dévorer de ses yeux encore pleins de larmes. Elle balbutia : Si vous saviez comme j’ai souffert, si vous saviez ! — Il s’en rendait compte par son pauvre visage défait.

Il paraissait sincèrement attristé.

— Andrée, il n’y a pas de ma faute… Une convocation d’ouvriers à la dernière heure… M’y dérober, c’était compromettre mon élection… Plaignez-moi : vous le voyez, je ne suis qu’un ambitieux… Pourtant, j’ai bien pensé à vous, je ne voulais pas vous laisser partir sans vous dire adieu…

Elle l’entendait à peine, hantée par cette idée qu’il était là enfin et qu’il faudrait le quitter. C’était un arrachement en elle, ce cœur qui restait à Maurice, ce corps dont la place était marquée dans un coin du « car ».

Elle leva vers lui ses yeux pleins d’une ardente prière :