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visages de montréal

tant il est devenu nerveux. Il y voit mal, il se coupe. Son œil de verre le gêne et nous attendons d’être à Paris pour le changer. Ah ! il a tant souffert. Le climat canadien ne lui va pas. Le froid le rend irritable. En sortant de chez Mme Vadeboncœur, nous avons dû attendre le tramway pendant plus d’un quart d’heure : il était à moitié gelé, il m’a dit que j’avais eu l’air d’une gouvernante parmi ces dames. Pourtant il n’est pas méchant. Après m’avoir frappée, il a pleuré en me demandant pardon. Il se mettrait à genoux devant une femme. En France, il faudra bien qu’il se tienne. Ma famille sera derrière moi. Mon parent a promis de le prendre dans son usine, de le mettre au courant. Avec lui, il n’y a pas à plaisanter. Moi je trouverai des leçons dans une institution.

Pauvre Fourcade ! Pauvre prince fatal qui devenait de plus en plus humain à mesure qu’il se dépouillait du Russe. Le drame continuait à se jouer en lui, ou plutôt, il continuait à jouer le drame. La révolution ne le baignait plus de sa pourpre lueur, mais il répandait par lui-même une grande ombre de bête traquée.

Ils s’embarquèrent sans dire adieu à personne. Mlle Lucienne se représentait le prince recevant des paquets d’eau de mer sur le pont des troisièmes, et la nuit, recroquevillé dans sa couchette trop