Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 2, 1908.djvu/353

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déclives, se traînait au soleil sans un bateau, sans une voile. Je retrouvai là ces eaux de velours sombre qui m’avaient tant frappé près d’Abergavenny. D’énormes bancs de sable, d’une couleur cuivrée et malsaine, pareils à des sauriens endormis, bombaient leurs carapaces au milieu du fleuve. Un pont en pierre, tout battant neuf, l’enjambait sur trois arches ; mais je cherchai vainement l’ancien pont de bois dont parlent tous les guides et qui subsistait encore il y a dix ou douze ans. On prétendait dans le pays qu’il datait des Romains, et la raison qu’en donnaient les archéologues est qu’il était fait de poutrelles mobiles, comme le pont jeté par César sur le Rhin et décrit dans les Commentaires. Il se peut bien ; mais les poutrelles avaient dû changer plusieurs fois au cours des âges ; le pont de César n’était éternel, comme la nef Argo, que parce que, comme elle, on le rapiéçait chaque année. Un temps vint où on négligea cette formalité ; une crue de l’Usk emporta le pont et, avec lui, les débris des deux tours fortifiées qui en défendaient l’entrée.

Mon guide s’en applaudissait : il tenait visiblement pour l’esprit de nouveauté contre la routine. Le port de Caerléon n’ayant ni quais ni docks, seulement un chemin de halage et un wharf en planches pour le déchargement des rares caboteurs qui le visitent tous les trimestres, je ne voyais point, quant à moi, ce qu’il avait pu gagner à la disparition de ces ruines qui ajoutaient un élément de noblesse au paysage.

Le peu qui reste de leurs substructions fait justement face à l’hôtellerie désaffectée où logeait Tennyson. Quoique aucune plaque commémorative ne s’y