Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 2, 1908.djvu/81

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tout, la mer. Elle jase en oiselets de ruisselets, mugit en énorme et lointaine bête invisible ; elle est douce et perfide, assaillante et brutale. Ce fut elle qui me tenta, finalement. Je cinglai vers l’Abervrac’h, en une fine barque qui coupait d’un tranchant net les sombres collines d’eau, qui zigzaguait en angles et en courbes autour des hauts rochers de la pleine mer où s’alignaient les tristes pingouins, en vue de l’île Vierge et de son phare de 75 mètres. Le marin, aidé de son mousse, qui me conduisait, Jourdain, blond colosse barbu, ayant couru le monde, de la Norvège à la Chine, parleur lent et expressif, me disait brièvement et simplement les anecdotes de sa rude vie. Attentif, l’œil sur l’horizon, la main à la barre, gouvernant sa barque, la faisant attendre, courir, obliquer, se cabrer, comme un cheval d’hippodrome, il fit, sous le vent et dans les couloirs de hautes lames, une entrée rapide et glissante, d’une triomphale souplesse, dans l’estuaire de l’Abervrac’h. »

Je n’ai pu résister au plaisir de citer jusqu’au bout cette jolie page. Mais combien d’autres il faudrait citer encore, celles sur Morlaix, où « les pas sont lestes et les yeux vifs », où les cigarières ont pris « des allures de chèvres » à grimper et dévaler quatre fois par jour les rampes tortueuses de la rue Bourret et de la venelle du Créhou ; celles sur la population de Saint-Pol-de-Léon, « abritée par ses lourdes portes, ses murs épais, confite en sa muette atmosphère « ; celles sur Gourin, « la ville noire », sur Nantes, « la ville des ponts », sur Quimperlé, la ville des tabliers polychromes, sur Ploumanac’h, la cité d’Apocalypse aux « troupeaux de mastodontes » errant le long des