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pas remerciée de l’accueil fait aux hôtes du dehors, certes, elle tenait la place d’élection et figurait le premier personnage parmi le chœur triomphal groupé autour du bronze d’immortalité. Chez aucun poète, pas même chez le breton Brizeux, on ne rencontre le sentiment de la terre natale développé au point où il le fut chez Marceline. Aussi Douai, qu’elle quitta jeune, le Douai d’avant la Révolution, avec ses ruisseaux d’eau vive, ses ombrages, ses grands jardins embaumés sommeillant au bruit des cloches, revit-il à chaque instant dans les vers du poète. Elle-même incarne le type moral de la vraie Flamande, ni fine, ni avisée, ni ironique à la façon française, mais simple, d’exquise sentimentalité, de religiosité charmante. Rien en elle d’un bas bleu. Elle est femme, et, par certains côtés, bonne femme. Sa statue se dresse dans un square populaire où jouent les enfants pauvres, où se reposent les ouvriers à la tombée du soir, où les vieillards de l’hospice voisin viennent, sous leur rude livrée de misère, goûter la tiédeur de leurs suprêmes soleils. Elle est bien là au milieu des siens.

Quel contraste, pourtant, et quelle leçon : cette humble, avant tout l’amie des humbles, acclamée soudain par des artistes et des poètes de génie si divers ! Ainsi déjà, de son vivant, bien que sa réputation n’eût point forcé la porte des lecteurs ordinaires, elle attirait au rayonnement discret de sa gloire et forçait à l’admiration l’élite la plus disparate. Près du poète farouche des Iambes, le doux chantre armoricain de Marie ; c’était Lamartine et Alfred de Vigny ; Balzac et Victor Hugo, les deux Titans. C’était Béranger et c’était Michelet. Ces esprits divergeaient en tout, un nom du moins les faisait unanimes : celui de Desbordes-Valmore. Elle leur apparaissait véritablement comme la Poésie en mission au milieu d’eux.

Il en va de même aujourd’hui.

N’est-il pas touchant de voir le sceptique auteur de Jérôme Cogniard et du Lys Rouge rendre hommage à cette croyante et l’ironie accoutumée de M. Anatole France, dont il ne saurait entièrement se passer, ménager néanmoins Marceline ? N’est-ce pas un rare et singulier spectacle, de voir le prestigieux artisan de rimes qu’est M. Catulle Mendès s’incliner devant la chanteuse naïve et spontanée, pareille à Lamartine et, selon le mot de Sainte-Beuve, ne sachant que son âme ? les reines éphémères et brillantes du théâtre saluer la « petite comédienne de Lyon » ? Sarah Bernhardt elle-même lui faire l’aumône du fastueux enthousiasme mis par elle au service de tant de nobles causes ? Et n’est-il pas étrange enfin de voir le comte Robert de Montesquiou, un poète-gentilhomme dont les vers sont peut-être la moindre part de sa notoriété, l’une des figures les plus curieuses du XIXe siècle à son