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enthousiasme

Bientôt, le grand pont fut en vue. Il pédalait depuis deux heures. Mais il n’avait pas de montre pour le savoir.

Sur le pont il s’arrêta, il regarda couler l’eau grise parce qu’elle copiait le ciel. Et le ciel baissait, vraiment. C’était dommage.

Une rivière bleue c’était tellement plus beau.

Il longea la rue étroite qui borde Saint-Vincent-de-Paul, et s’essouffla à remonter, après l’église ; il ne lui serait jamais venu à l’idée qu’une pareille côte se montait mieux à pied qu’à bécane. La résidence qui s’appelait le Château Lussier une fois de plus attira son attention. Le pénitencier aussi, vu de loin, avec ses hauts murs. Les idées tourbillonnaient dans sa tête. Il y brassait un mélange de joie ou de regrets. Les prisonniers étaient à plaindre, même s’ils avaient mérité leur sort. Il en suivit curieusement un groupe qui piochait dans un champ, sous le regard du garde qui les surveillait de si près.

Mais Poilu était plus loin. Pierrot soudain reprenait une allure plus vive. Il montait les côtes comme mû par un moteur. Il était si peu lourd, et pédalait debout tout le temps.

— Il est bon mon vieux bicycle.

Dans son subconscient, Pierrot avait bien formé le projet de se faire inviter à dîner à la ferme ; de se reposer longtemps et de ne revenir qu’après quelques heures.

Quand il fut en vue de Saint-François-de-Sales, la pluie se mit à tomber. Elle lui fouetta le dos. Il mit son veston. Il traversa Saint-François-