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enthousiasme

aimait d’ailleurs les couleurs vives, crues ; témoin le bleu à laver, l’orange brûlé de son salon.

La guerre avait interrompu la vie si palpitante d’intérêt du jeune ménage privilégié. Rentrés à Montréal, ils avaient acheté cette maison où Christiane avait installé cette pièce bien à elle, couleur de delphiniums et de lis jaunes !

Le jeune ménage privilégié subissait tout de même, comme les autres, le sort ordinaire des humains ; son bonheur clochait. La santé de Christiane était mauvaise, inquiétante. Un mal encore inconnu minait son jeune organisme. Son front de cire en était le seul indice, pour les passants, car son entrain, son enthousiasme étaient d’une vigueur extrême. Ce qui ne l’empêchait pas d’être confinée au lit, ou au moins à la maison, des semaines complètes, et d’avoir à dissimuler de continuelles souffrances.

Je marquais souvent le tapis bleu de la poussière de mes semelles, parce que j’avais une santé de fer et pouvais aller par tous les vents, distraire Christiane malade, boire son délicieux thé de Chine, manger ses sandwiches, emprunter ses livres. Christiane me questionnait sur mes études encore en cours, sur mon professeur de littérature, mes ambitions, mes projets, mes amours. Christiane voulait savoir l’histoire de tous, et le moindre potin la ravissait. Elle buvait les nouvelles fraîches comme du bon lait, et d’ailleurs elle versait généreusement en échange tout ce qu’elle savait elle-même.

— Tu es bavarde, Christiane, tu es une vraie commère…, disait son jeune mari. Mais il mettait