Page:Le Normand - Enthousiasme, 1947.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
enthousiasme

traits réguliers et fermes. Elle vit l’homme qu’elle avait connu, chic, en veston bien coupé et qui portait avec tant d’élégance la canne nécessaire… Elle s’exclama.

— Que c’est drôle, se retrouver ainsi !

Mais elle trouvait plutôt que c’était triste. Lui présentait-elle un spectacle aussi déprimant ?

Lui, la questionnait. Elle répondait ; le nom de son mari, de ses enfants, son lieu d’habitation et comme autrefois, en cinq minutes, il sut le principal et elle ne sut rien. Elle n’osa pas même demander s’il était marié. Elle fut certaine qu’il ne l’était pas ; son faux col, son complet le disaient. Elle fut certaine aussi qu’il n’était pas riche et même qu’il végétait péniblement.

C’était un vieux, pour elle maintenant, et sûrement, ses idées sceptiques, son ironie ne l’avaient pas servi. Ni le succès, ni le bonheur n’avaient été apparemment son lot.

Ils se serrèrent la main, elle partit.

L’imprévu de cette rencontre l’amusait, elle riait, mais en même temps quand elle pensait à son sentiment d’autrefois, elle frissonnait d’horreur tout simplement.

— Mais c’est abominable, il aurait pu être mon mari ! S’il m’avait demandé de l’épouser quand j’avais dix-huit ans, j’aurais dit oui, les yeux fermés ! Comme on est fou, quand on est jeune, fou et inconséquent !

Ce soir-là, en rentrant dans sa maison, elle n’en finissait plus d’embrasser ses petites filles et