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espérer de réponse immédiate. Elle finit par s’habituer à n’en recevoir que de douze en douze mois. Tout de même écrire à sa mère avec une pareille constance prouvait qu’on avait une mère, et Jane ressentait un certain orgueil à pouvoir se le prouver.

Au jour de l’an, guidée par sa patronne, elle achetait aussi à cette mère fantomatique, un beau cadeau, et elle consacrait à cet achat, tout ce qu’elle avait d’argent de poche. C’était un sentiment de générosité et de tendresse qui l’honorait. Parfois, un merci informe finissait par arriver. Souvent, Jane devait se contenter de dire :

— S’sais pas si mon mère, elle l’a reçu son présent. A’ travaille si fort, qu’el pourra peut-ê’te pas m’écrire.

Jane ne s’appesantissait heureusement sur rien de cela. Elle avait de quoi s’occuper, ne fût-ce qu’à regarder grandir autour d’elle la famille où elle était entrée, qui s’enrichissait d’année en année d’un nouveau rejeton. Elle aimait les enfants et ils la trouvaient drôle. Et elle lavait les couches, si elle n’apprenait pas à être propre et à bien faire autre chose.

Quand elle était arrivée, on s’était dit :

— La pauvre ne connaît rien, ne sait rien faire, mais elle sera toujours bonne pour laver la vaisselle…

Elle avait alors commencé de mal la laver et de la bien casser, et elle continuait. Les plus vieux des enfants — dont l’aînée était presque de son âge — l’aidaient aussi dans ses massacres ; de